Prix Pulitzer en 1940 pour Les raisins de la colère paru l’année précédente, prix Nobel de littérature en 1962, l’écrivain californien John Steinbeck (1902-1968) est l’auteur d’une œuvre impérissable avec Le Poney rouge (1933), Tortilla Flat (1935), En un combat douteux (1936), Des souris et des hommes (1937), La Perle (1945), À l’est d’Éden (1952), Tendre jeudi (1954), Il était une fois une guerre (1958), entre autres…
En 1966, à 64 ans, déjà malade et fatigué, cet homme de gauche a voulu se rendre compte par lui-même de la réalité du conflit qui divise son pays et sape le moral de sa jeunesse.
Il part donc en reportage au Viêtnam pour le magazine Newsday et, quoique bon connaisseur des choses de la guerre (en 1943, il a couvert le conflit en Europe pour le New York Herald Tribune et a été blessé en Afrique du Nord), il se montre déconcerté par des combats qui ne comportent « ni front ni arrières ».
Embarquant sur les vedettes qui sillonnent les deltas, volant à bord des hélicoptères Huey et des avions mitrailleurs, il suit les boys dans leurs engagements éprouvants et il retrouve également son fils qui a choisi de s’engager.
Saluons l’initiative des Éditions Les Belles Lettres qui ont rassemblé, dans Dépêches du Vietnam, traduites pour la première fois en français, les missives qu’il a adressées entre décembre 1966 et avril 1967 à la rédaction de son journal et qui y parurent en soulevant bien des tollés.
C’est que Steinbeck y soutient la guerre menée par l’Amérique.
« S’il émettait des réserves en privé sur cette dangereuse aventure, il serre les rangs derrière la politique suivie par le président Lyndon Johnson, ce que lui reprocheront beaucoup d’intellectuels, explique le préfacier, professeur à l’université de Toledo (Ohio). Lui, le défenseur des faibles et des opprimés, « l’écrivain social » qui, en son temps, fut soupçonné d’être communiste, est devenu belliciste, mais est surtout « désespéré que ces merveilleuses troupes n’apportent pas une victoire rapide ». »
Certes, mais le raccourci est un peu faible, et on lira avec grand intérêt les réflexions d’un homme en fin de vie jetant un regard lucide sur les horreurs du communisme quand il était de bon ton d’en chanter les louanges, sur une certaine forme de lâcheté physique cachée sous les oripeaux du pacifisme ou derrière les « pistons »[1] et sur le devenir des relations américano-chinoises, dont Steinbeck affirmait qu’elles ne se régulariseraient que par le biais du commerce.
Un ouvrage qui dérange… et fait réfléchir !
PÉTRONE
Dépêches du Vietnam par John Steinbeck, préface de Thomas E. Barden, traduction de Pierre Guglielmina, Paris, Éditions Les Belles Lettres, collection « Mémoires de guerre », novembre 2013, 272 pp. en noir et blanc au format 12,5 x 19 cm sous couverture brochée en couleurs, 21 € (prix France)