Grandeur et décadence…

Admirablement rédigée par Laetitia Le Guay et parue en Arles chez Actes Sud, la biographie de Serge Prokofiev (1891-1953) est, comme toujours dans la collection « Classica », enrichie d’un index, de repères bibliographiques et d’une discographie

On doit à Serge Prokofiev de nombreuses œuvres musicales allant de la symphonie au concerto, à la sonate ou au conte musical (Pierre et le Loup pour un théâtre d’enfants moscovite), de la musique de chambre ou de film (d’Alexandre Nevski et d’Ivan le Terrible, les chefs-d’œuvre d’Eisenstein, notamment) à des opéras (Guerre et Paix d’après Tolstoï) ou des ballets (Cendrillon, Roméo et Juliette…) et il a été reconnu de son vivant comme un artiste d’avant-garde très créatif.

De 1918 à 1936, il passa de nombreuses années en dehors de son pays avant de se laisser convaincre de revenir en URSS où il fut à la fois honoré (Prix Staline en 1943, « Artiste du Peuple » de la République socialiste fédérative soviétique de Russie en 1947, Prix Lénine en 1957, à titre posthume) et persécuté (en 1948, on l’accusa de « formalisme », c’est-à-dire de céder trop « aux impulsions « dégénérées » de l’Ouest », ce qui l’incita à produire des œuvres sans intérêt à la gloire du régime mais ne lui évita pas les purges staliniennes et de finir sa vie dans la misère ; paradoxe de l’Histoire, il mourut le même jour que Staline…).

Écoutons l’auteure :

« Étrange destin que celui de Serge Prokofiev, talent précoce qui fit sensation dans la Russie du dernier tsar par ses œuvres iconoclastes et sa virtuosité pianistique. Curieuse fortune que celle d’un musicien « solaire », salué comme tel par les poètes et les interprètes, mais dont la vie, à l’approche de la trentaine, entra dans une difficulté définitive. Après son départ de Russie au printemps 1918, Prokofiev ne connut plus jamais la facilité de ses débuts.

Avec son retour en URSS en 1936, il éprouva le tragique stalinien. La musique de Prokofiev est indépendance. Son refus des écoles et des théories se manifesta dès la jeunesse (« je déteste l’imitation », dit-il) et se maintint sa vie durant, autant qu’il fut possible, dans les dernières années, sous l’étau du « réalisme socialiste ».

Il se définit dans un rapport à l’héritage classique, qu’il revisitait sans complexe, avec tour à tour facétie, poésie, tendresse, ou sarcasme.

Le fracas percussif, le piment de la dissonance, le martèlement rythmique furent les traits les plus marquants d’une écriture qui en a bien d’autres, à commencer par sa richesse d’invention mélodique. [Il] fait ainsi cohabiter l’éclat de rire avec la plainte, les déguisements loufoques avec des accents sombres. Les Tragiques et les Comiques dialoguent, la veine lyrique et la veine épique se côtoient, mais le mot de la fin revient à Arlequin : au costume bariolé, à l’humour, au saut de côté, dans un rapport à l’existence, ludique ou théâtral, mais profondément humain. »

Car, comme nous le confia un jour l’historien Henri Guillemin à propos d’un grand poète, « il est des génies dont l’œuvre est impérissable, mais à qui on eût refusé de serrer la main… »

PÉTRONE

Serge Prokofiev par Laetitia Le Guay, Arles, Actes Sud, collection « Classica », janvier 2012, 254 pp. en noir et blanc au format 10 x 19 cm sous couverture brochée en quadrichromie, 19 € (prix France)

Date de publication
lundi 26 août 2013
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