Le 8 novembre 1923, Adolf Hitler, qui vient de prendre les rênes du NSDAP, échoue lamentablement dans la tentative de putsch qui devait lui donner le pouvoir en Bavière. Après un procès rapide débouchant sur un verdict très clément, le futur Führer est envoyé en détention à la forteresse de Landsberg. Là, dans sa cellule spacieuse, il reçoit ses admirateurs, il lit tout ce qu’on lui apporte, et surtout il écrit un pamphlet, véritable concentré de toute sa haine : Mein Kampf.
À sa sortie, rares furent ceux qui perçurent les dangers de ce livre. Accueilli avec indifférence ou sous les sarcasmes, l’ouvrage annonçait pourtant la couleur. Il y était déjà question de remilitariser l’Allemagne, d’en faire une dictature implacable et de conquérir l’espace vital nécessaire au développement d’une prétendue race aryenne. Celle-ci était par ailleurs appelée à écraser les autres peuples et à imposer sa domination sur le monde. Hitler développait aussi à longueur de pages une haine pathologique des Juifs et en appelait à les faire disparaître de la surface du globe. Tout cela était donc très éclairant sur les horreurs à venir.
Mais pour l’heure, les politiciens allemands se moquaient bien de ce péquenaud autrichien, peintre sans talent qui criait comme un roquet dans les arrière-salles des brasseries. Et, de fait, à sa sortie, le pensum, mal écrit, ne suscita que peu d’engouement. C’était sans compter sur les talents d’orateur d’Hitler et sur le très sérieux coup de pouce de la crise qui permirent le déferlement de la vague brune Outre-Rhin.
À la faveur de la montée en puissance des nazis, Mein Kampf, retouché par les éditeurs, devint alors un immense best-seller en Allemagne. Le programme qu’il contenait n’en resta pas moins sous-estimé en dépit de sa mise en œuvre dès le début des années 1930.
Ainsi, à l’étranger, Hitler était vu comme un homme tout à fait respectable, voire comme un garant de la paix. Il est vrai que les traductions de son livre étaient expurgées des passages gênants pour les nations concernées. Dans l’édition française, par exemple, pas une ligne sur les projets hitlériens d’annihiler purement et simplement la France, cette ennemie héréditaire. On n’en était pas à une manipulation près… À sa lecture, seuls quelques lecteurs européens avaient vu la catastrophe arriver et avaient tenté en vain d’alerter l’opinion. Parmi eux, un certain Winston Churchill.
La suite, on la connaît. Après le réarmement de l’Allemagne, la construction des premiers camps de concentration, les premières mesures antisémites, l’invasion des Sudètes et l’annexion de l’Autriche, et tandis que le piège se refermait sur ceux qui s’étaient jetés dans la gueule du loup, les rêves délirants d’Hitler se réalisaient. C’était l’avènement de Mein Kampf, devenu à la faveur de la dictature, la Bible de l’Allemagne nazie.
C’est ce parcours qu’on lira, entre autres, dans le travail passionnant d’Antoine Vitkine [1] paru dernièrement chez Flammarion à Paris sous le titre Mein Kampf, histoire d’un livre. Sans jamais se perdre, l’auteur revient en détail sur la production de ce texte, mais aussi sur sa publication et sur l’accueil qui lui fut réservé. Il retrace la saga des retouches successives, des rééditions et des traductions. Il décrit les cercles intellectuels, économiques et politiques qui ont sans cesse gravité autour de ce pamphlet. Il explore enfin ce qu’il en est resté, depuis la fin de la guerre jusqu’à nos jours.
Un livre captivant, à propos d’un livre…terrifiant.
EUTROPE
Mein Kampf, histoire d’un livre par Antoine Vitkine, Paris, Flammarion, collection « Champs histoire », édition revue et augmentée, février 2013, 332 pp. en noir et blanc au format 10,8 x 17,8 cm sous couverture brochée en couleurs, 9 € (prix France).