Nous avons reçu le témoignage suivant, que nous reproduisons bien volontiers sans pour autant en partager nécessairement l’entièreté du contenu :
Le 15 mars 2012, alors que le tournage avait commencé depuis près de deux mois, le chanteur Michel Sardou change subitement d’avis sur le documentaire que France 2 avait décidé de lui consacrer. Il ne veut plus que se poursuive la réalisation de ce numéro de l’émission « Un jour, un destin » présentée par Laurent Delahousse, dont la diffusion était prévue pour la rentrée de septembre 2012.
Le Figaro du 26 mars 2012 divulgue cette information : « C’est une première à ce stade du projet. Pourtant, quelques mois plus tôt, la production et l’artiste – fan de l’émission – s’étaient entendus. Las, l’équipe de journalistes et de techniciens s’est retrouvée au chômage. Le chanteur-comédien a sans doute réalisé l’impact de l’émission et a eu peur de se dévoiler… ».
Lorsque, ce jour-là, par un appel sur mon gsm émanant de Magoto Presse, j’ai été informé de ce revirement qui s’apparente sans doute à une forme de censure, je visitais l’exposition Sempé organisée par l’Hôtel de Ville de Paris. Je devais en effet être interviewé comme témoin privilégié de la série de concerts malmenés en 1977.
Voilà donc trente-cinq années que je rongeais mon frein pour présenter ma version des faits. Entre-temps, Michel Sardou a régulièrement eu l’occasion de repréciser son propre témoignage, à sens unique. Où est la vérité historique, sans confrontation des sources ?
Alors que les recherches sur Google se développent, il est facile de retrouver ma trace puisque, sur mon site www.consoloisirs.be, je détaille quelque peu les actions anti-Sardou de l’époque et j’y diffuse même une photo ainsi légendée : « 600 personnes manifestent devant Forest National où Michel Sardou chante « Je suis pour » (la peine de mort) ».
À découvrir au bas de cette page : http://www.consoloisirs.be/presentation/bio/bio1970.html
Près de cinq ans plus tôt, j’avais déjà vécu une aventure sans issue assez semblable. « France Télévisions » avait également financé mon voyage Bruxelles-Paris pour répondre à une interview sur la même thématique.
Le 25 juin 2008, Fabienne Bardou, d’Air Prod, pour un documentaire à diffuser sur France 3, m’avait convié à rejoindre près de l’Opéra Bastille, pour un long entretien, Louis-Jean Calvet, le célèbre linguiste engagé (http://louis-jean.calvet.pagesperso-orange.fr/accueil.htm), qui avait naguère coécrit avec le regretté Jean-Claude Klein, paru aux Éditions Savelli, un sulfureux et bien documenté « Faut-il brûler Michel Sardou ? ».
Cette fois-là, l’enregistrement fut bien mis en boîte mais l’émission ne sera jamais diffusée.
C’est à se demander si Michel Sardou a quelque chose à cacher ou s’il ne veut, par facilité, que se cantonner à des émissions promotionnelles « à la Drucker » !
En tout cas, les téléspectateurs n’ont guère droit à un travail d’investigation en ce qui le concerne, ce qui est consternant de la part de deux diffuseurs publics.
Le 10 septembre 2012, France3 a présenté, à 20H45, « Qui êtes-vous, Michel Sardou ? », un film inédit de Mireille Dumas.
http://programmes.france3.fr/documentaires/index.php?page=doc&programme=culture-pop&id_article=3013#
Selon Le Nouvel Obs (6 septembre 2012), c’est un calvaire de 120 minutes où il ne se passe presque rien, où l’auteur du document ne pose pas, à l’inverse de ce à quoi elle nous à habitués durant toute sa carrière, « ses questions très délicates avec un sourire désarmant ».
Titre de cet article : « Manque d’entretien ».
Sous-titre, tout aussi ravageur : « Michel Sardou se fait rare à la télévision. On comprend pourquoi. ».
Aucun travail d’investigation critique. Toutes les personnalités interviewées utilisent la brosse à reluire.
Pour l’affaire Sardou, on y apprendra de la bouche de Sardou que sa chanson « Je suis pour » fut une erreur dans sa carrière. Mais face à cet aveu, aucune relance de la part de Mireille Dumas. Ni un : « Qu’en fut-il réellement de vos rapports éventuels avec l’extrême droite, de votre proximité avec des journalistes de Minute ? ». Ni un : « Pourtant, trente ans après, en 2007, sur le plateau de Marc Olivier Fogiel, vous faisiez à nouveau l’apologie de la loi du talion ? ».
DES « TUBES » LIÉS À UNE ACTUALITÉ BRÛLANTE
Au milieu des années ’70, parallèlement à la promotion d’une culture différente (Colette Magny, Catherine Ribeiro, Jacques Higelin et Areski, Brigitte Fontaine, Bernard Lavilliers, Catherine et Maxime Le Forestier, André Bialek, Claude Semal, etc.), je m’intéresse aux coulisses du show-business. N’est-il pas complémentaire, voire indispensable, de démonter le royaume du faux et du cynisme clinquant pour donner envie au public de découvrir aussi des chemins plus authentiques ?
Voilà pourquoi au printemps ’77 s’organisent des actions anti-Sardou en Belgique : une critique offensive de la culture dominante.
Des paroles que l’on imagine « neutres » sont analysées et s’avèrent fortement engagées.
Michel Sardou crée régulièrement des chansons à propos de thématiques controversées au moment précis où ces dernières se répandent dans les médias, grâce à l’un ou l’autre fait d’actualité qui les illustrent et mobilisent la population ainsi que le monde politique. Parmi leurs thématiques : l’enseignement, le rôle des femmes, la colonisation, etc.
L’exemple le plus signifiant : la chanson « Je suis pour ». Elle est créée en 1976, lors de l’affaire Patrick Henry. Celui-ci a tué un enfant de huit ans, Philippe Bertrand.
Ce crime fait l’objet d’un procès particulièrement médiatisé. Il est beaucoup question de la peine de mort (qui vit ses derniers soubresauts). L’avocat de Patrick Henry deviendra célèbre : c’est Robert Badinter, partisan de l’abolition, et il réussira à éviter la peine capitale à son client.
Contrairement à ce que l’on pense souvent, « Je suis pour » n’est pas une chanson qui prône la peine de mort. C’est sans doute pire. Elle revendique clairement la loi du talion :
« J’aurai ta peau, tu périras,
Tu n’auras plus besoin d’avocat,
J’aurai ta tête en haut d’un mât,
Je veux ta mort (…) ».
« STRIP-TEASE » À 20H30, ET NON VERS 23H !
La vie des médias en Belgique francophone fut quelque peu différente de ce qui se passa en France. En effet, après mai 1968, en Wallonie et à Bruxelles, le public potentiel pour permettre à un journal quotidien de gauche de se rentabiliser est trop faible. Plutôt que de créer des outils d’information indépendants du pouvoir en place, comme Libération en France, nombre de journalistes (et d’animateurs culturels) réussissent à se faire engager par les médias publics ou le ministère de la Culture.
Ainsi, le journal télévisé de la RTB (sans F, francophone, à l’époque) deviendra réellement « pluraliste » : présenté autant par des journalistes de droite bien frappée (Luc Beyer) que par d’anciens proches de l’extrême gauche (Jean-Jacques Jespers).
La droite franche n’apprécie pas ce pluralisme et recherche le monopole pour son endoctrinement : voilà pourquo,i pendant une quinzaine d’années, la « grande » presse (comme on la nommait à l’époque), dont l’hebdomadaire Pourquoi Pas ?, fit régulièrement campagne sur la « RTB bolchévique ».
Pendant une vingtaine d’années, le prime-time ertébéen proposera des émissions d’information, de défense des consommateurs, etc., qu’on retrouve davantage (à l’exception de « Envoyé Spécial ») vers 22h00 ou 23h00 sur les chaînes de service public en France : « Strip-Tease » en est un exemple tangible car cette émission est diffusée sur les deux chaînes (vers 20h20 à la RTBF, et 23h00 sur France3).
Cette stratégie médiatique différente mène, bien entendu, très progressivement à des résultats.
Et l’affaire « Sardou », du moins sous son éclairage belge (qui est important, car la médiatisation sur les télés françaises a démarré par ce qui s’est passé en Belgique), est issue directement de tout ceci. Nous ne sommes pas dans une digression. C’est d’ailleurs ce que j’avais expliqué aux équipes de France 2 et France 3 (pour la deuxième, en interview ; et pour la première, lors de la préparation au téléphone).
Des conséquences tangibles ? Une présence plus importante de l’éducation permanente (en France, on parle d’éducation populaire) auprès du très vaste public puisqu’on le concerne aux heures de grandes écoutes de la télé, et à une époque où le téléspectateur ne peut capter que très peu de chaînes différentes.
Ceci se vérifie aussi dans le secteur de la culture. Grâce aux « Tournées Art et Vie » (joli nom !), une partie (50 à 75%) des cachets des artistes (chanteurs, théâtre, conférences, etc.) est subventionnée lorsque ceux-ci sont programmés dans des maisons de jeunes, des centres culturels, etc. Là, également : un pluralisme authentique. Qui allait jusqu’à aider ainsi les prestations du groupe GAM dont la spécificité consistait à écrire des chansons de lutte avec des ouvriers qui étaient en grève (http://www.legroupegam.be/).
Comme retombée concrète, on constate qu’en Wallonie, on sensibilisa davantage le public aux coulisses de show-business.
Ainsi, concernant Michel Sardou, un exemple : la Médiathèque (important service de prêt de disques ayant des succursales dans tous les grandes villes belges francophones, et pour les plus petites, un service itinérant via un bus aménagé à cet effet) n’a pas mis pas à l’index son œuvre (ceci fit l’objet d’un long débat interne) mais proposa à la location ses 33 tours avec une notice proposant une réflexion sur les textes de ses chansons.
TENTER D’EXPLIQUER, PLUTÔT QUE D’INTERDIRE
Pour son concert du 18 février 1977, les annonces du concert de Forest-National provoquèrent un émoi certain, puisqu’elles se succédaient au moment où « Je suis pour » triomphait dans les charts. Quelques réunions rassemblèrent des groupes politisés (d’extrême gauche) et des mouvements dits « progressistes » (maisons de jeunes, Médiathèque, etc.). Plusieurs tracts furent publiés, plus ou moins radicaux, et des affiches du concert contesté furent taguées d’un « Sardou : hors de Belgique », par exemple.
Le consensus, pour les différents intervenants, alla dans le sens d’une manifestation « d’éducation permanente », l’objectif étant non pas de faire interdire le concert mais de tenter de sensibiliser le public du chanteur aux textes que celui-ci célébrait.
Le tract dont je fus l’éditeur était intitulé « Sardou, qui es-tu ? ».
Extrait : « Toi qui va peut-être payer 300 francs belges ou plus, pour aller l’écouter ou pour acheter un de ses disques, connais-tu réellement Sardou ?
Toute la journée, tu l’as passée à la boîte, dans un atelier, dans un bureau ! T’en as marre, tu veux te changer les idées, tu ouvres ton poste : Sardou sur les ondes. Et voilà, comme l’écrit un journal publicitaire, t’as l’impression qu’il chante ce que tu ressens dans les tripes.
Mais si on s’arrête un peu sur les paroles, tu pourrais remarquer que Sardou est dangereux, qu’il chante des idées contre lesquelles des hommes et des femmes se sont battus, et continuent à se battre, pour la liberté, contre le colonialisme, le racisme…
Des idées qui, dans le monde actuel, provoquent encore l’emprisonnement, la terreur et l’écrasement de milliers de gens ».
Il ne s’agissait pas d’empêcher les concerts, mais de remettre en question, assez fermement, le contenu de son répertoire :
« (…) Alors que le chômage ne cesse d’augmenter, il n’hésite pas à dire que « dans le contexte actuel de l’ère industrielle, on ne veut plus travailler ».
Sardou commence à comprendre qu’on ne va pas rester sans réagir à ses mensonges et à ses provocations. À Belfort (France), il n’a pas chanté à cause d’un « mauvais rhume » : les gens ont pigé que, être pour la peine de mort, le viol des femmes, le retour aux colonies, ça sent le fascisme !
Et ils ont réagi parce que, à coups de refrains bien torchés, il fait passer un message fasciste préparant dans les esprits l’avènement d’un pouvoir fort.
En Belgique aussi, à Liège, à La Louvière, à Bruxelles, se sont constitués des comités contre la venue de Sardou.
Nous ne resterons pas insensibles à sa venue, car nous savons que si ses chansons deviennent réalité, la liberté n’existera plus et la place sera libre pour les racistes, les militaires et autres rats ! Ensemble et massivement, nous dirons devant Forest-National à 18h30 : Non à Sardou !
Amenez vos instruments de musique et participez au rassemblement contre la venue de Sardou ».
La présentation de ce qui s’est réellement passé à Forest-National est bien différente de ce que Wikipedia indique encore aujourd’hui, dans la foulée de tant d’autres médias : « « Les comités Anti-Sardou » se donnent pour but d’empêcher le chanteur de donner ses récitals ».
http://fr.wikipedia.org/wiki/Michel_Sardou#Controverses_et_succ.C3.A8s_.281976-1977.29
RTB(F) : « DES CHANSONS D’EXTRÊME DROITE AVEC SARDOU »
Le concert bruxellois s’est bel et bien déroulé. Il n’y eut aucun incident grave. Le public de Sardou fut accueilli sur l’esplanade de Forest-National par de nombreux gendarmes et par près de six cents manifestants qui marquaient vigoureusement mais pacifiquement leur opposition au contenu du répertoire de Sardou.
Parmi eux, on retrouvait des membres de groupes politiques d’extrême-gauche, des chrétiens progressistes, des enseignants, la « Maison des femmes », « Diffusion Alternative », plusieurs maisons de jeunes, le « Mouvement d’Action Musicale », le collectif de jazz « Les Lundis d’Hortense », le collectif « culture » de l’hebdomadaire « Pour » (qui publie, cette semaine-là, sur deux pleines pages, un article intitulé « Cet homme est dangereux »), le cabaret aux chansons « Le Chat Écarlate » (qui découvrira à Bruxelles des Gilles Vigneault ou des Maxime Le Forestier, etc.), une association d’anciens prisonniers, des groupements de lycéens…
La nature quelque peu différente (décrite plus haut) des services publics de l’audiovisuel français et belge apparaît dans le traitement des JT, ce soir-là, sur Antenne 2 ainsi qu’à la RTB(F).
J’en fis l’analyse dans un article que j’ai cosigné avec Jean de Laguionie (en 2012, directeur de La Maison 2 La Chanson Montpellier-Hérault-Languedoc-Roussillon) pour la revue française « Chanson » (N°25, avril 1977, pages 10 et 11) et intitulé « La chanson et les médias » :
« (…) Du fascisme rouge ? Sans aucun doute, pour les téléspectateurs de RTL qui découvrirent, au journal, un « dossier Sardou » où, seul, le chantre de l’extrême droite avait la parole, après la projection de quelques images violentes de l’accueil pour le moins critique que lui réservèrent, pour son concert à Bruxelles quelques six cents jeunes (ou moins jeunes) rassemblés sur l’esplanade de Forest-National.
Ils distribuaient des tracts et agitaient des calicots, mais n’avaient aucune intention d’empêcher le concert.
Leur seul souhait : discuter avec les gens qui aimaient Sardou, les interroger, les informer.
Le reportage d’Antenne 2, « Chanson et tolérance », était légèrement plus nuancé. Deux déclarations succinctes des manifestants y contrastaient avec une interview relativement longuette d’un Sardou affairé à son maquillage.
Les chaînes de radio et de TV françaises ont ostensiblement privilégié le côté sensationnel de l’opposition belge à la tournée ‘77 de Michel Sardou. C’était un bon sujet pour leur taux d’écoute (la séquence était annoncée dans les sommaires et passait vers la fin des émissions), et aussi une bonne occasion de présenter à peu de frais des extraits du tour de chant de la vedette du showbiz.
La démarche de la télévision belge fut différente, même si cette dernière ne se décida à y mettre tout le paquet que lorsqu’elle remarqua la présence de ses consœurs françaises, et pas parce qu’elle considérait que cette première opposition massive sur la voie publique à un élément caractéristique de la culture abrutissante constituait un événement social important.
Le soir même de l’événement, les trois éditions du journal télévisé belge présentèrent des éclairages pluralistes, complémentaires et nuancés.
Après des interviews détaillées d’un des organisateurs du rassemblement anti-Sardou et du chanteur lui-même (JT 1), ainsi que des images de la manif-distribution-de-tracts (JT 2), le journaliste qui présentait le JT 3, vers 23h, annonça que sa consœur qui avait commenté la séquence Sardou du JT 2 avait reçu des menaces téléphoniques de viol.
Il proposa ensuite une analyse détaillée des textes litigieux de certaines chansons de Sardou, après avoir souligné que la chanson n’était jamais neutre : « Il y a des chansons de gauche avec Jean Ferrat, déclara-t-il à l’antenne, de droite avec Gilbert Bécaud et d’extrême droite avec Michel Sardou ».
« ANTENNE 2 » EXIGE QU’ON FABRIQUE DES CALICOTS !
Certes, le reportage du journal télévisé d’Antenne 2 a montré l’aspect « éducatif », « explicatif », de la manifestation en donnant la parole à l’un des organisateurs, Jean-Pierre Braine, qui, à l’époque, représentait la Maison des Jeunes de Forest. Il déclara : « (…) Toute notre action vise à ce que les gens qui viennent à Forest-National, viennent écouter Sardou mais également réfléchissent (…) ».
Mais le média français ne se contenta pas de faire un compte-rendu. Il influença directement le déroulement de l’événement, ce qui n’est en aucun cas sa mission.
L’équipe d’ Antenne 2 débarqua sur l’esplanade de Forest-National, durant l’après-midi, en pleins préparatifs de l’action. Les organisateurs n’avaient pas prévu de calicots, puisqu’il s’agissait simplement d’une séance de distribution de tracts aux spectateurs de Sardou. Cela n’a guère plu au média français qui menaça de ne pas tourner s’il ne pouvait pas avoir « de bonnes images ». Les organisateurs furent ainsi forcés d’improviser la réalisation de banderoles et d’affiches, quasi sous la direction de l’équipe d’Antenne 2.
Bien entendu, cela radicalisa la perception de cet événement, et sa représentation pour le public, via les petits écrans.
Ce qui se voulait une tentative de dialogue avec les spectateurs deviendra, au grand regret des organisateurs bruxellois, une manifestation dont le but serait l’interdiction des concerts de Sardou. C’est cette option quasi mensongère qui sera imposée à tous par une imposante médiatisation. Elle aura pour conséquence le fait que des concerts seront effectivement annulés au cours de la suite de la tournée en France.
Les militants bruxellois se retrouveront isolés, et souvent incompris, car d’autres chanteurs emblématiques comme Yves Montand ou Maxime Le Forestier, qui étaient par nature leurs alliés, apporteront leur soutien au chanteur « censuré », puisque sa liberté d’expression était entravée.
Michel Sardou méritait-il pareille agitation ? Était-il vraiment aussi réac qu’on l’a prétendu ?
En ce qui concerne certaines de ses thématiques souvent vilipendées, comme le viol et la domination des femmes par les hommes, ou le regret du temps béni des colonies, il faut accorder le bénéfice du doute au chanteur qui affirme vouloir brosser des portraits auxquels il ne s’assimile pas, un peu comme les « caractères » d’un La Bruyère.
À propos de pareils textes, il peut effectivement se réfugier derrière le second degré, mais le vaste public qui l’applaudit souvent frénétiquement sur scène ne se limite-t-il pas au sens premier de ses invectives ?
Ne commettrait-il pas la même erreur qu’un Paul Amar qui interviewa naguère Le Pen (père) avec des gants de boxe ? Cette attitude qui aurait pu être étincelante dans un talk-show de fin de soirée sur une chaîne cryptée passa très mal, car perçue au premier degré, à la « grand-messe » du 20h !
D’extrême droite ? Proche de l’extrême droite ? En tout cas, l’extrême droite l’aimait bien.
Comme j’en étais l’éditeur, mon nom et mon adresse étaient indiqués sur le tract « Sardou, qui es-tu ? » (voir plus haut) et j’ai reçu des appels téléphoniques d’interlocuteurs se prétendant affiliés à pareils partis extrémistes, avec menaces de mort à la clef. Celles-ci ont été prises très au sérieux par la police qui m’imposa une protection de mon domicile privé pendant plusieurs jours.
En Belgique, le mensuel d’extrême droite « Le Nouvel Europe Magazine » (sous-titré « La voix de la majorité silencieuse ») consacra la couverture et quatre page de son n°83 d’avril 1977 à un dossier « Michel Sardou : censuré (par la bêtise) ! ».
En illustration, notamment une photo du chanteur portant un enfant dans ses bras. La légende : « Michel Sardou avec son fils. « Si on me l’enlevait ? Si on me le tuait ?… » Mais les Hennebert sont incapables de comprendre cela. ».
Tout comme Clo-Clo avait créé « Podium » pour son jeune public, Michel Sardou décida de lancer son propre journal mensuel pour ses admirateurs(-trices) dès janvier 1976 et il reprit avec beaucoup de modestie ses initiales pour lui donner un titre : « MS Magazine ».
Dans leur livre paru aux éditions Savelli, « Faut-il brûler Sardou ? », les deux auteurs, Louis-Jean Calvet et Jean-Claude Klein, indiquent que l’histoire de « MS Magazine » leur a « permis de vérifier la réalité de certaines sympathies » : « (…) l’engagement de plusieurs journalistes de l’hebdo Minute dans l’équipe rédactionnelle de MS n’est pas passé inaperçu » (page 19).
Parmi lesquels Jean-Pierre Montespan qui deviendra le rédacteur en chef du mensuel.
EN 2007 : DAVANTAGE QUE LES MEURTRES D’ENFANTS…
Trente ans après cette maudite tournée abrégée, Marc Olivier Fogiel avait invité Michel Sardou dans son talk-show sur M6, le 7 septembre 2007.
Extrait : http://www.dailymotion.com/video/x2xabk_michel-sardou-et-la-loi-du-talion_news
L’entretien se déroule en direct et confirme que le chantre de « Je suis pour » n’a guère évolué dans ses idées.
Pour lui, « Ce n’est pas une chanson sur la peine de mort » car c’est bien un hymne qui revendique la loi du talion.
Son exemple : si on tue mon enfant, si je retrouve l’assassin : « (…) Si cela m’arrive, je lui tire une balle dans la tête (…). Ma mère m’a dit une phrase formidable : « On s’est prononcé pour la guillotine, mais on n’a rien dit pour le sécateur » ».
Et toujours la même tactique ! Après avoir franchi la ligne rouge, il fait vite amende honorable. Mais le « poison » est distillé ! Se rendant peut-être compte qu’il est allé trop loin, il tente de modérer (un peu comme quand il invoque le second degré pour tenter de rendre comestibles certains de ses textes), en s’exclamant : « On est assis (dans ce talk show) autour d’une table en train de déconner plus ou moins… ».
Dans la suite de cette émission, il précisera qu’il est bien pour la loi du talion, « s’il n’y a pas de peine incompressible ». Dans un seul cas : « (…) les meurtres d’enfants ».
Mais quelques instants plus tard, il ajoute : « (…) les viols d’enfants ».
Où s’arrêtera-t-il ? À la fessée ?
Bernard HENNEBERT
Coordinateur de http://www.consoloisirs.be/
Auteur de « Mode d’emploi pour téléspectateurs actifs » (Éditions Labor) et « Les musées aiment-ils le public ? » (Éditions Couleur Livres).