Un feuilleton corrosif pour les 10 bougies de Jean-Paul Philippot

Sur son mur de Facebook, pendant une semaine, Bernard Hennebert, l’auteur de « RTBF, le désamour » paru aux Éditions Couleur livres (http://www.consoloisirs.be/presentation/livre05.html) propose, jour après jour, un des sept épisodes de son feuilleton Une semaine en « prime-time » sur La Une, juste dix ans après l’arrivée de Jean-Paul Philippot à la tête de la RTBF.

Il s’agit d’une réflexion entreprise par un usager actif qui vient de publier son quatrième livre traitant du service public. Elle dépasse , bien sûr, la personnalité de l’administrateur général du service public.

Le travail de mémoire sur l’audiovisuel est fragile.

Cette réflexion devrait permettre de prendre davantage conscience des évolutions récentes de la RTBF, telles que voulues par deux majorités politiques (d’abord PS-CDH, puis PS-CDH-ECOLO), à la veille de la renégociation du prochain contrat de gestion 2013 de ladite RTBF.

LE LUNDI :

Deux constats préalables :

1 : Il y a 10 ans, cinq soirées sur sept sur La Une proposaient en prime-time des émissions fortement liées à l’info (L’Écran Témoin, Faits Divers, Autant savoir, L’Hebdo, Le Jardin Extraordinaire).

Aujourd’hui, il n’y en a plus que deux (Questions à la Une, et Ma Terre, dans la case du dimanche majoritairement réservée au Jardin Extraordinaire).

La mission de délassement est donc désormais fortement favorisée.

2 : Pour une majorité de soirées sur la Une, le « prime-time » commence désormais plus tard.

Il y a dix ans, le prime-time n’était point annoncé majoritairement dans la presse à 20H20 !

Il était prévu à 20H00 (1 soirée), 20H05 (1 soirée),  20H10 (3 soirées), 20H15 (2 soirées).

En 2012 : c’est 20H10 (1 soirée), 20H15 (2 soirées) et 20H20 (4 soirées).

Et ce lundi 20 février 2012 ?

À 20H20, une comédie, « L’amour c’est mieux à deux ».

Il y a dix ans, dès 20H10, le prime-time du lundi 18 février proposait un Écran Témoin sur « La prostitution : faut-il punir le client ? ».

Parmi les nombreux invités sur le plateau, en vrai direct, outre des personnalités politiques et universitaires, des policiers, etc., sont annoncés dans la presse une série de représentants de l’associatif : Françoise Hecq (Université des femmes), Sophie Wietz (Le Nid à Bruxelles), Quentin Deltour (Espace P à Liège), Michel Vilain (CAR, Wallonie), Bruno Moen (Payoke à Anvers).

Ce 7 septembre 2011, le Conseil de la Jeunesse a suggéré à la ministre de l’Audiovisuel Fadila Laanan, dans son avis d’initiative, la remise à l’antenne d’un programme de type Écran Témoin pour « décortiquer un enjeu de société », suite à la diffusion d’un film (ou d’un documentaire).

Pour rappel : après l’arrivée de JP Philippot à la direction de la RTBF, L’Écran Témoin fut déclassifié.

D’émission d’information, il devint un programme de divertissement, ce qui permit une coupure publicitaire.

De plus, relégué en deuxième partie de soirée (perdant son « direct ») et influencé par le concept naissant de téléréalité « à la Delarue », il perdit son sens et son public.

Conséquence : si le débat « politique » du dimanche midi (avec, dans son panel d’intervenants, une majorité d’hommes politiques) demeure, la RTBF ne programme plus un rendez-vous télévisé régulier consacré à une discussion sur une actualité sociétale, principalement avec des témoins de la société civile. Quelques talk-shows fourre-tout reprennent vaille que vaille, de façon bien plus superficielle, ce type de témoignages.

LE MARDI

Ce soir, sur La Une dès 20H20 (selon l’horaire annoncé dans les hebdos), la dernière des émissions en différé (le 4e duel) de « The Voice ».

Petit bémol : ce mardi, la RTBF annonce, au contraire, sur son site, que l’émission commence à 20H15 :  http://www.rtbf.be/

Est-ce que cela veut dire qu’elle commencera réellement à 20H20, mais que le service public donne rendez-vous, de fait, pour la pub, en faisant croire que c’est le début de l’émission ? Ou l’émission débutera-t-elle à 20H15, et la RTBF se moque de la tronche des rédactions de la presse hebdomadaire et de leur nombreux lecteurs ? Imitera-t-elle un jour Arte ou TV5 qui entament leurs programmes à l’heure annoncée (ce qui donc ne semble pas totalement impossible dans le paysage audiovisuel de 2012) ?

Il y a 10 ans, La Une proposait à 20H10 un « Forts en tête » intitulé « Au cœur de la Basse-Sambre ».

Et comment osait-on, à l’époque, définir officiellement cette émission placée à la meilleure heure d’écoute ? Il s’agit d’un « jeu de culture et d’érudition ». Avec une belle audience à la clef.

Le divertissement ?

On rappelle rarement le texte suivant qui en spécifie la nature : la RTBF doit proposer « des programmes réguliers de divertissements attractifs, misant sur la qualité, la différenciation et l’ancrage en Communauté française », ainsi que des jeux « mettant en valeur notamment l’imagination, l’esprit de découverte ou les connaissances des candidats ».

Que penser dès lors de la production de Y’a pas pire (Conducteurs, puis Animaux) ?

D’autre part, le 19 mai 2007, la RTBF mettait fin à dix-neuf années de Génies en herbe, annonçant qu’elle souhaitait conserver sur ses antennes une case pour un jeu interscolaire… qu’on n’a toujours pas revu ni sur La Une, La Deux ou La Trois !

Combien d’années de perdues…

Il faudra attendre sans doute encore quelques mois pour qu’enfin la RTBF propose à nouveau en télévision, non pas une saison entière, mais bien uniquement  les demi-finales et la finale d’un nouveau Génies en herbe.

Le plus désagréable, c’est de découvrir que la direction actuelle de la RTBF prend l’initiative, 9 fois sur 10, dans ses multiples interventions publiques, d’indiquer que la RTBF doit aussi faire du divertissement (comme si on ne le savait pas !)… mais d’omettre quasi systématiquement dans la majorité de ses interventions ces deux petits mots : « éducation permanente ».

Deux poids, deux mesures ?

LE MERCREDI :

Le mercredi est l’un des rares jours de la semaine où, en dix ans, la tradition d’un magazine d’information en prime-time sur La Une a été maintenue.

Le mercredi 20 février 2002, à 20H15, était annoncé un « Faits Divers » , le « mensuel de la vie quotidienne », consacré aux « Disparus du Haut-Pays ».

Ce mercredi 22 février 2012, à 20H20, « Questions à la une » abordera deux questions : « Que deviennent les millionnaires du Lotto ? » et « Qui sont les travailleurs pauvres en Belgique ? ».

Le mercredi est le jour de la semaine où les enfants en congé peuvent facilement regarder Bla-Bla en direct. Mais quand il y aura école l’après-midi, cela deviendra petit à petit quasi impossible.

En février 2002, le petit héros qui entraîne les enfants à chanter, chaque jour, le dérangeant (pour certains) « Beurk la Pub » sévissait entre 16H45 et 17H45, sur La Deux.

En septembre 2007, sa prestation démarrera dès 16H05. Ce qui lui fera perdre plus de la moitié de son jeune public, pas encore rentré à la maison. Voilà l’un des actes les plus cyniques qu’un diffuseur puisse commettre : dépenser des budgets conséquents pour produire une émission de qualité et programmer celle-ci à un horaire dont il sait pertinemment que le public potentiel est dans l’impossibilité matérielle de la regarder.

Mais quelques mois plus tard… Stéphane Delhougne, le responsable des programmes jeunesse, déclara à La Libre Belgique du 6 décembre 2007 : « …Si l’on regarde (les chiffres) des parts de marché, qui sont les seuls auxquels je veux m’attacher, on est en augmentation depuis l’an dernier… ». Il refuse donc d’indiquer combien de bambins regardent effectivement Bla Bla à 16H05. Communiquer en terme de « parts de marché » permet de faire illusion. Celles-ci représentent le pourcentage de téléspectateurs branchés sur une chaîne par rapport à tous ceux qui regardent le petit écran à ce moment-là. On peut donc très bien avoir une « part de marché » mirobolante alors que très peu de monde a sa télé allumée.

On connait la suite (et la fin) : Bla-Bla sera abandonné à la rentrée scolaire 2010-2011.

Fric, fric, fric ? Aujourd’hui, on se demande si son interminable mise à mort n’a pas été dictée par des impératifs économiques, dont celui de médiatiser de nouvelles mascottes d’un partenaire carolo. Ce seront Spirou et Fantasio qui atterriront sur La Trois, cette chaîne étant « surtout un robinet à flux continu pour Dreamwall, le studio d’animation des éditions Dupuis » (L’Avenir, 20/11/2010)… Mais, à l’inverse de ce qui se passait dans Bla-Bla, ces nouvelles capsules d’animation ne proposent que de courts sketches, sans réelles intentions pédagogiques.

LE JEUDI :

Il y a une dizaine d’années, coexistaient en télévision deux émissions qui illustraient les droits des consommateurs : « Autant savoir » et « Cartes sur table ». Aujourd’hui, il n’existe plus à proprement parler d’émissions de reportages, pures et dures, ou des débats en direct avec la présence du public, axés sur cette thématique. Il s’agit plutôt de talk-shows avec chroniqueurs (« On n’est pas pigeon ») ou des programmations ponctuelles dans « Questions à la une ».

Le jeudi 21 février 2002, La Une proposait, à 20H15, un « Autant savoir » intitulé « Le DVD : cinéma à domicile ».

Et ce jeudi 23 février 2012, sur la même chaîne, à 20H20, démarre un épisode de la deuxième saison de « Comme un chef », une compétition culinaire.

Force est de constater que les programmes culturels, diffusés naguère sur La Une, ont été rendus progressivement plus difficilement accessibles au grand public.

Ils furent d’abord relégués vers 20H sur la deuxième chaîne télé, moins fréquentée.

Il fut ensuite décidé que cette chaîne devait s’approcher d’un Club RTL, comme le signifiait Yves Bigot, directeur des télés, à Vers l’Avenir, le 1er avril 2006. C’est pourquoi cette chaîne proposa, dès ce moment-là, le talk show Toute une Histoire, le feuilleton Plus Belle la Vie ainsi que des séries ou des spectacles d’humour, en lieu et place de la culture qui, elle, est recasée à 22H45.

Sans doute pour faire illusion, pour faire croire que la RTBF avait encore en prime-time une case culture, on créa alors Arte-Belgique à grands frais (environ 3 millions d’euros par an, hors dotation), mais 50 degrés Nord diffusé en prime time n’y attire qu’environ 10.000 spectateurs « d’un profil socioprofessionnel élevé ».

Enfin, le 25 septembre 2010, ce sera un dernier (?) déménagement de la culture, sur La Trois. Une chaîne « de troisième zone » ? François Tron, le directeur des télévisions, déclare, à propos de son audience : « Si on oscille entre 1% et 2%, je suis content ». Et La Dernière Heure (8 septembre 2010) rappelle qu’il s’agit « d’une nouvelle chaîne créée sans argent », alors que La Trois ne concrétise, à l’inverse de La Une et de La Deux, que des missions de service public : les émissions pour les sourds ou pour les enfants, les films en VO sous-titrée, etc.

À ce sujet, on constate que, le jeudi 21 février 2002, La Deux programme effectivement un documentaire culturel d’une durée de 55 minutes, dès 20H10 : « Entre les lignes », l’histoire de l’écrivain et journaliste Amira Hass, correspondant du quotidien « Ha’aretz » derrière les lignes israéliennes, dans les territoires palestiniens.

Et ce 23 février 2012, il faut attendre, sur la même chaîne, 22H50 pour découvrir une programmation de type culturelle : une diffusion du film « Good Night, and Good Luck » tourné en 2005 par Georges Clooney. Ce soir-là, La Deux propose en effet dès 20H05 un divertissement : « Le meilleur de l’humour » avec Eric ké Ramky (1/2).

Sur La Trois, à 21H05, il y a bien le magazine critique sur l’actualité des sorties cinéma « Ciné Station »… mais, bien que la nouvelle chaîne a déjà bien plus d’un an d’âge, la RTBF continue de ne pas en communiquer les différents résultats d’audience, et ce, à toutes les heures d’une journée : à savoir, le nombre de postes branchés sur cette chaîne (et pas les « parts d’audience »). Le vaste public ne serait-il pas au rendez-vous ?

LE VENDREDI :

Le vendredi 22 février 2002, à 20H00, est annoncé, sur La Une, « L’Hebdo », le magazine d’actualité qui serait un peu le grand père de l’actuel « Questions à la une », avec davantage de reportages tournés par les équipes de la RTBF à l’étranger.

Dans deux interviews accordées à près d’un an de distance, au Soir (07/09/2011) et à Sudpresse (13/10/2010), Bruno Clément explique : « Sincèrement, on aimerait bien traiter l’actualité internationale. On a fait quelques tentatives mais elles se sont révélées infructueuses sur le plan des audiences » et « C’est triste, mais l’international ne marche plus. On l’abandonne d’autant plus que c’est cher à produire ».

Quel horaire étrange (et quasi miraculeux), ce 20H00…

Pendant deux saisons, « L’Hebdo » fut diffusé dans le corps même du JT de 19H30 et donc sans tunnel de publicité.

Comparé aux diffusions antérieures à cette période bénie, celles avec tunnel de publicité, la seule variante étant donc la présence ou non des annonceurs entre la fin du JT et le début de « L’Hebdo », on constate qu’il y a en moyenne, deux ans durant, 1/3 à 1/4 de téléspectateurs en plus, soit une centaine de milliers d’usagers en plus. C’est, chaque semaine, l’équivalent de pas mal de Forest-National de Bruxelles, de Théâtre Royal de Namur ou de Maisons de la Culture d’Arlon ou de Tournai archi pleins.

Vous imaginez les audiences faramineuses d’une RTBF sans pub ? Tiens tiens, cette expérience concrète, unique en son genre, n’est jamais (en dehors de mes propres interventions, les rares fois où l’on me donne la parole) mise en évidence dans les nombreux articles ou débats sur l’éventuelle suppression de la pub et du sponsoring à la RTBF…

On y laisse même parfois entendre, et sans apporter aucune preuve, que cette suppression de la pub mènerait à une diminution de l’audience, et mettrait donc en péril l’existence même du service public. C’est vraiment du n’importe quoi !

Et ce vendredi 24 février 2012 à 20H15, quoi donc, au prime-time de La Une ? « C’est du belge » annoncé, chaque semaine, dans les programmes de « Moustique » comme étant « le magazine de la noblesse ».

Dans une contribution publiée par La Libre Belgique du 27 janvier 2005, Théo Hachez, le regretté directeur de La Revue Nouvelle, constatait que les cartes sont brouillées entre RTL-TVI et le service public, et leurs rôles quasi inversés, comme le montraient magistralement les programmes de la soirée du 21 janvier 2005. La RTBF proposait, ce soir-là, le premier numéro de C’est du Belge, son clone de Place Royale, suivi du populaire Flic de Beverly Hills, tandis que RTL-TVI commémorait le soixantième anniversaire de la libération des camps en diffusant le documentaire de la BBC « Auschwitz, la Solution Finale » encadré par un débat réunissant témoins et historiens.

M. Hachez parlait d’estompement « des décrétales missions de service public » et relève aussi les chutes d’audiences de la RTBF : « Une telle situation devrait interpeller les politiques. Et pourquoi la ministre de tutelle n’ouvrirait-elle pas des États généraux à la RTBF ? Ah, cela s’est déjà fait, du temps où Elio Di Rupo était ministre de l’Audiovisuel… ».

Dans son rapport annuel, la RTBF a osé classer « C’est du belge » dans le quota des émissions d’éducation permanente, ce qui a conduit le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) à signifier des « imprécisions consistantes, voire grandissantes » dans l’interprétation par la RTBF de ses missions.

On se souviendra que l’ex-député Josy Dubié (ÉCOLO) a indiqué à deux reprises lors des travaux au parlement, à propos du clone de Place Royale, que Jean-Paul Philippot lui avait confié : « Tu as raison, cette émission, ce n’est pas ma tasse de thé, mais cela fait venir du public, et donc de la pub… ».

LE SAMEDI :

Le prime-time du samedi sera-t-il toujours léger sur La Une ?

Le 23 février 2002, à 20H05, était proposé « Les @llumés.be » avec, en invité, Robert Wasseige, alors entraîneur des Diables rouges. Et ce 25 février 2012 à 20H15 : « Une brique dans le ventre », le magazine de l’habitat.

Et le samedi, la culture est-elle programmée à une heure où le vaste public est à l’écoute ? Axons-nous sur l’agenda culturel (un type de rendez-vous utile pour donner au moins envie concrètement au public de quitter son salon et sa télé pour vivre en réel la ou les culture(s)).

Sur La Une, ce 25 février 2012, il faut attendre 00H25 pour suivre « 50° Nord ». Le 23 février 2002, sur la même chaîne, « Javas » était proposé à 22H30.

Pour la suite de notre raisonnement, gardez bien à l’œil que « 50% Nord » est une émission quotidienne, et « Javas », un hebdo.

L’audience de ces agendas culturels se calcule à partir de leurs multidiffusions.

Autrefois, « Javas » touchait un vaste auditoire, ce qui était plutôt surprenant ce type de programme. En octobre 1997, un an et demi après sa naissance, ses cinq rediffusions orchestrées par Gérard Lovérius (le directeur des télévisions de la RTBF) touchaient plus de 200.000 téléspectateurs, davantage que le JT de la mi-journée de l’époque, que « Les Années Belges », « Génies en Herbe » ou « Mise au Point ».

En 2002, la politique des rediffusions est déjà moins opérationnelle mais néanmoins encore assez variée et dans certains créneaux horaires non confidentiels. Concrètement : fin février 2002 (la période qui nous sert de comparaison pour les 10 ans de ce feuilleton), au cours d’une même semaine, on peut découvrir « Javas » sur La Deux le lundi à 20H05 (première diffusion), durant la boucle de nuit du lundi au mardi, et le mardi à 13H25. Ainsi que sur La Une : le mardi à 00H20 et le samedi à 22H30.

L’émission dure une douzaine de minutes et ne coûte que des clopinettes : aucun moyen de tournage n’est prévu, les images étant le plus souvent offertes par les organisateurs culturels promotionnés à l’antenne.

« Javas » sera supprimé en janvier 2007.

Historique passionnant de la naissance de cette émission voulue par la société civile : http://www.consoloisirs.be/articles/lejournaldumardi/061205.html).

Et pourtant, l’équipe de « Javas » évitait les doublons avec « 50° Nord ». De plus, les deux démarches sont différentes. Pour l’émission de 25 minutes diffusée en première diffusion du lundi au vendredi sur Arte Belgique, la formule proposée est celle d’un talk-show avec des chroniqueurs et des invités souvent célèbres, tandis que « Javas » piochait davantage dans les activités alternatives et s’efforçait de mettre en évidence les initiatives décentralisées des centres culturels, par exemple.

La RTBF serait-elle un Avignon qui a dépecé son off?

De toute manière, les activités culturelles qui méritent d’être sélectionnées sont tellement nombreuses que la justification proposée par la RTBF en semble absurde. Tout rassembler dans « 50°Nord » risque de rendre l’offre indigeste, et donc inefficace.

Le service public ne s’est-il pas auto-flagellé en anéantissant ainsi, quasi du jour au lendemain, une petite équipe si bien huilée et qui avait su gagner la confiance des différents interlocuteurs de terrain ?

Confier le contenu de « Javas » ainsi aux producteurs indépendants de « 50°Nord », cela revient aussi à externaliser l’agenda culturel.

Lors de la conférence de presse du 25 septembre 2007 fêtant le premier anniversaire de « 50 degrés Nord »,  se confirme le fait qu’Arte Belgique coûte 2,6 millions d’euros par an (une somme accordée par la Communauté française en complément à la dotation ertébéenne déjà en augmentation) dont 2,1 millions pour « 50° Nord ».

Les autres renseignements dévoilés par les différents initiateurs de cette rencontre avec la presse tiennent plus de la communication que de l’information, ce qui est un comble pour un service public et sa ministre de tutelle.

D’entrée de jeu, La ministre Fadila  Laanan annonce, en effet, que « … plus de 30.000 personnes regardent quotidiennement cette émission, ce qui est beaucoup par rapport aux autres programmes culturels » (30.000 usagers, comparé à « Javas », c’est pipi de chat).

Carine Bratzlavsky, la représentante d’« Arte Belgique », explique ensuite que, sur sa chaîne, « l’audience a augmenté de 30% de part de marché ».

Mais personne ne semble oser détailler plus clairement les audiences respectives des différentes diffusions : le passage sur le canal Arte à 20H15 et la rediffusion sur La Une (selon un horaire variable, entre 23H30 et 01H00 du matin).

Il faudra attendre une question d’une journaliste pour enfin découvrir que… l’audience sur le canal d’Arte est des plus minimes : « Une moyenne de 8.000 téléspectateurs durant la saison écoulée », concède Mme Bratzlavsky.

À la fin de cette conférence de presse à laquelle j’avais la chance d’assister, j’ai demandé de nous préciser le profil des 8.000 téléspectateurs qui regardaient ce programme et Carine Bratzlavsky nous confirma qu’il s’agissait du même public que celui qui regarde Arte régulièrement et le caractérisa de : « …profil socioprofessionnel élevé ».

Les rediffusions en début de nuit sur La Une permettent donc de tripler ou de quadrupler l’audience de l’émission. On reste cependant à mille lieues des score de « Javas ».

L’horaire à la fin février 2012 : « 50° Nord » est diffusé quotidiennement en semaine de 19H00 à 19H45, et subit donc désormais la grande concurrence des journaux télévisés.

La rediffusion sur La Une demeure : à 00H25, ce samedi 25 février 2012 (+ diffusion dans la boucle de nuit, toujours sur La Une).

Et les jours qui suivent : 23H00 (lundi), 00H35 (mardi), 23H35 (mercredi), 23H50 (jeudi) et 23H10 (vendredi) (+ la boucle de nuit). Jamais à la même heure…

Est-ce une politique éditoriale économique ? Pour rappel : faute de financements, la RTBF interrompt désormais ses films par plusieurs coupures de publicité et est envahie par les spots vantant les médicaments de comptoir (c’est-à-dire mis en vente sans ordonnance).

Et la culture est-elle encore proposée au vaste public ou plutôt à des téléspectateurs déjà concernés ?

LE DIMANCHE :

Ce dimanche 26 février 2012, à 20H10, sur La Une, « Ma Terre », le magazine des découvertes, prend exceptionnellement la place du plus ancien hebdo de la RTBF, « Le Jardin Extraordinaire ».

Dix ans plus tôt, le 24 février 2002, à 20H10, c’était bien « Le Jardin Extraordinaire » qui occupait le prime time du dimanche soir sur La Une.

C’est bien avant l’arrivée de Jean-Paul Philippot que cette émission a été déplacée du samedi au dimanche soir, dès 1997. Le parti ECOLO avait lancé une pétition « RTBF: Pour le maintien du Jardin Extraordinaire, le samedi soir » parce ue les jeunes enfants peuvent aller se coucher plus tard le samedi que le dimanche.

L’émission changea ainsi de jour de diffussion parce qu’un généreux sponsor (La Loterie nationale) exigeait que son jeu « Bingovision » soit diffusé le samedi soir.

Pour plus d’infos sur cet événement, téléchargez le journal de l’Association des téléspectateurs actifs : « Comment Télez-Vous? » : il en est question dans le n°31 du 27 mars 1997 http://www.consoloisirs.be/ata/pdf/ata31.pdf

Le 24 février 2002, comme chaque dimanche sur La Une, le débat politique de 60 minutes « Mise au Point » se termine à 12H30, pour permettre à « Qu’en Dites-Vous ? », l’émission de médiation, d’être diffusée dès la fin du générique : sans aucune pause publicitaire ou autopromotionnelle.

C’est le  9 septembre 2001 que Jean-Jacques Jespers arbitra son premier « Qu’en dites-vous ? » d’une douzaine de minutes proposé dans les conditions du direct.

Les règles sont simples et efficaces. L’émission n’est pas montée et est diffusée intégralement (et ceci est rappelé chaque semaine au télespectateur).

En studio, un auditeur ou un téléspectateur présente sa plainte.

Un reportage approfondit la réflexion.

Un représentant de la RTBF répond à l’interpellation.

L’usager reçoit un temps de parole plus important, car il n’est pas sensé être habitué à s’exprimer dans un média, et il aura aussi droit à conclure l’émission.

Jean-Jacques Jespers assume son rôle d’animateur-médiateur : tenter de concilier plusieurs points de vue, ne pas nécessairement prendre la défense de son employeur et, surtout, suggérer des pistes de solution.

Tous les trois mois, une émission-bilan fait le point sur les évolutions des différents dossiers ouverts à l’antenne.

Exemples de quelques changements obtenus à l’époque : donner plus de temps à l’antenne pour les sports amateurs ou, selon Anne Guyaux, dans Le Ligueur (27/02/2002) :

« Le producteur de « Pour la gloire » s’est engagé à donner leur place aux compositions originales en français, celui de « Coup de film » à mentionner la collaboration avec les distributeurs ».

Critiquer les médias dans les médias est devenu banal. Par contre, que les usagers puissent par le biais d’une émission forcer un média à évoluer concrètement dans ses pratiques, et ce « en faveur du bien commun », voilà qui est bien plus singulier ! C’est pourquoi les livraisons hebdomadaires pendant deux saisons de « Qu’en dites-vous ? » resteront exemplaires. Et donc, il fut bien possible de « faire çà » à la RTBF !

Après deux saisons, Jean-Jacques Jespers quitta la RTBF pour rejoindre l’ULB. Entretemps, Jean-Paul Philippot était arrivé aux commandes. Petit à petit, les « spécialistes » (professeurs d’université ou collègues de la presse écrite) squatteront la majorité des sièges naguère réservés au public dans l’émission de médiation.

Il existe trois types de programmes qui traitent du monde des médias : les émissions de médiation, les séquences d’éducation aux médias et les programmes qui débattent, qui mettent en perspective l’actualité médiatique (ainsi que, de plus en plus régulièrement, les évolutions d’internet, des réseaux sociaux, etc.).

La dernière option est la préférée des diffuseurs qui n’ont guère envie que leur propre ligne éditoriale soit remise en question par le public. C’est celle-ci qui devient la tendance lourde de la RTBF, sous la direction éditoriale d’Alain Gerlache, ancien directeur de la télévision qui sait combien il est laborieux pour la RTBF de devoir toujours se justifier en plaidant que les annonceurs n’influencent pas les choix du management du service public.

Ainsi donc, il est quasi impossible de maintenir en vie à l’antenne une séquence de médiation efficace et qui ne soit pas un simple alibi.

Or, c’est ce lien non démagogique avec leurs usagers qui devrait être l’un des fondamentaux permettant aux chaînes publiques de se différencier. Savoir écouter l’usager, sans nécessairement toujours lui donner raison d’ailleurs. Tirer les enseignements de ses observations ou propositions. Être à son service plutôt que de devenir le larbin de l’audimat.

De plus, pareils débats contradictoires permettent de voir émerger des idées novatrices qui feront parfois la référence, et le succès, du média public.

Vous comprenez mieux ainsi pourquoi je suis bien content que « Qu’en dites-vous ? » était diffusé le dimanche, ce qui me permet de terminer en apothéose ce 7ème épisode du présent feuilleton. Pour moi, une véritable émission de médiation est le couronnement symbolique du service public, la preuve ce que diffuseur peut associer son public activement à sa destinée. Fanfares, jouez !

L’émission « InterMédias » a pris la succession de « Qu’en dites-vous ? ». Alors qu’elle déclare régulièrement qu’elle n’a pas l’habitude de s’immiscer dans la programmation de la RTBF, la ministre Laanan n’a pas pu se retenir de maudire ce programme (la version « radio ») quand elle l’a écouté en simple auditrice, le 17 octobre 2008.

Au Parlement, elle a indiqué que cette émission était marquée « par des débats peu contradictoires, un sujet traité avec légèreté et un manque criant d’interactivité », en réponse à une question d’Isabelle Simonis (PS).

L’Agence Belga (le 21/10/2008) rapporte que la ministre a expliqué « avoir entendu un débat rassemblant des interlocuteurs qui avaient l’air d’avoir tous la même position ».

Il était question du nouveau plan de fréquences des radios. La manière dont la RTBF en a parlé « avec légèreté » est « en dessous de tout ».

De plus, l’interactivité d’ « Intermédias » semble mériter un zéro pointé : « Ayant voulu réagir aux propos tenus, Madame Laanan a formé le numéro de téléphone réservé aux auditeurs à cet effet, mais il était occupé en permanence, alors qu’elle n’a entendu aucun auditeur réagir sur antenne. Elle a aussi fait chou blanc lorsqu’elle a voulu réagir sur le blog de l’émission, sous couverture d’une idendité pseudo… ».

La ministre explique aux parlementaires : « Cela ne fonctionnait pas non plus et même si les présentateurs du programme ont fait état de difficultés techniques, on se demande si c’est ça, l’interactivité ! ».

On peut penser que la ministre Laanan a sa propre responsabilité dans ce désastre puisqu’elle a voulu que le texte du contrat de gestion soit moins contraignant. Celui en vigueur jusque fin 2012 permet au service public de ne pratiquement plus concevoir d’émissions de médiation puisque, pour celles-ci, l’indication d’une périodicité (par exemple : au moins 10 émissions par an) a été supprimée.

Découvrir dans les textes officiels l’évolution de ce fait est éclairant. Dans le contrat de gestion couvrant 2002 à 2006, la règle était exprimée de façon succincte et précise : « Tant en radio qu’en télévision, l’Entreprise produit et diffuse au moins dix fois par an une émission de médiation dont l’objectif est de répondre aux interrogations et réactions de son public ».

Le texte ayant cours de 2007 à 2013 est plus bavard mais cependant plus évasif : « La RTBF tant en radio qu’en télévision, programme et diffuse régulièrement, selon des périodicités décidées par son conseil d’administration, un programme et offre à la demande, dans la mesure du possible, des contenus audiovisuels de médiation et de relations avec les publics, dont l’objectif est notamment de répondre aux interrogations et réactions de ses publics ».

Ah ! ce « notamment » : une porte ouverte à tout et n’importe quoi…

Désormais, la tendance à la RTBF se résume à la quasi extinction de toute émission régulière consacrée à la médiation, avec présence et avec droit de réplique des usagers.

Par contre, la réflexion critique par des spécialistes sur le fonctionnement médiatique est omniprésente. Par exemple, le très long direct télé que proposa la RTBF, le 11 septembre 2011, pour marquer le dixième anniversaire de la chute des tours jumelles à New-York, était émaillé d’une longue séquence où des professeurs de l’ULB et de l’UCL purent critiquer jusqu’à la façon dont les médias commémoraient cet événement ce jour-là.

Le 25 novembre 2011, après plusieurs mois d’absence et à la veille des débats au parlement pour l’élaboration du prochain contrat de gestion 2013 (est-ce un hasard ?), la RTBF tente de renouer avec les émissions de pseudo médiation en inaugurant un nouvel « InterMédias » en télévision (rien n’est prévu en radio), présenté désormais par Thierry Bellefroid.

Le nouvel horaire ne permet pas d’atteindre de nombreux téléspectateurs. Le programme de médiation est passé, au fil des années, de La Une à La Deux.

Aujourd’hui, quand il est programmé (pas d’émission en février 2012 par exemple, ni en été, sans doute… cela fera moins de 10 par an !) il est présenté le vendredi soir vers 23H00, une fois par mois.

L’émission mêle les genres : débats d’actualité, séquence promouvant les outils d’éducation aux médias, présentation et discussion de plaintes du public, mais sans travail de médiation.

Lors de la première émission, une téléspectatrice se retrouva… face à trois représentants de la RTBF (l’animateur, la médiatrice et le directeur de l’information). Aucune évolution concrète ne fut décidée pour mettre fin à la situation dénoncée.

L’avis d’initiative voté le 7 septembre 2011 et adressé à la ministre Laanan par le Conseil de la Jeunesse revendique la mise en place « d’une véritable émission de médiation » qui ne doit pas simplement consister « en un débat entre spécialistes » et qui doit « susciter le dialogue entre les responsables des programmes, le milieu associatif, et les téléspectateurs/auditeurs ». On peut ainsi constater qu’au fil des décennies et des générations, le même besoin est clairement (ré)affirmé.

Pour visionner les émissions récentes d’« InterMédias » : http://www.rtbf.be/tv/programme-tv/detail?uid=108450056668

ET POUR TERMINER …

Curieux de découvrir en 2022 comment la RTBF aura évolué durant les 10 prochaines années…

Si elle existe encore… Ce qui ne sera peut-être pas le cas si elle évolue durant cette prochaine décennie de la même façon que ce qui s’est passé entre 2002 et 2012…

L’Europe pourrait interdire toute dotation pour une chaîne qui n’appliquerait plus vraiment de véritables missions de service public.

La décision serait logique car il s’agit, dans ce cas-là (que je n’espère pas), d’une véritable « concurrence déloyale » à l’égard des diffuseurs privés qui, eux aussi, ont le drot d’exister.

Comme je trouve essentiel l’existence d’un service public sur le long terme, je vous invite à vous battre pour que le prochain contrat de gestion de la RTBF qui sera d’application dès le 1er janvier 2013 constitue un nouveau départ, un changement de cap qui me semble indispensable.

Et ce futur contrat de gestion se prépare maintenant. Et j’ai raison d’être alarmiste.

Date de publication
mercredi 22 février 2012
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