La quasi-totalité des médias semble s’être accordée : voici le livre-événement, l’incontournable de la rentrée 2012 – tous les canards parisiens lui ont consacré un papier, l’auteur court de plateaux de télévision en studios de radios, et les blogueurs littéraires se l’arrachent !
Dans son dernier opus baptisé Claustria (on y traite de claustration en Austria), Régis Jauffret a choisi de relater, non sans insister sur les détails les plus gores, l’abominable mais bien authentique histoire de Josef Fritzl, cet Autrichien cinglé dont le monde entier découvrit avec effroi en 2008 qu’à l’insu de son entourage et même de son épouse (?), il avait séquestré pendant vingt-quatre ans sa propre fille dans les méandres sombres et mal aérés d’une cave de la maison familiale située dans la petite bourgade d’Amstetten, violant de manière récurrente son enfant devenue femme, au point de lui faire engendrer sept rejetons (dont l’un finit par décéder dans des circonstances nébuleuses).
Quelle chaumière n’a pas tremblé en prenant connaissance de cette affaire ? Comment un homme peut-il en arriver à faire subir de telles atrocités à la chair de sa chair ? Comment un être humain peut-il faire montre de tant de monstruosité ? Un thème-choc et accrocheur, tout trouvé pour un roman qui balance assez subtilement entre le reportage – l’écrivain bien renseigné explique avoir mené des investigations sérieuses autour de la famille Fritzl – et l’œuvre de fiction, annoncée en préambule, ce qui lui laisse la possibilité de pénétrer librement dans l’imaginaire torturé du fou, se lançant ainsi dans une vaste tentative de comprendre l’inconcevable, comme si la déraison la plus basse, la sauvagerie immonde et infâme dont font preuve quelques humains ne pouvait absolument pas demeurer sans cause ni explications…
Ultra « médiagénique », Jauffret vend son bouquin avec brio à ceux que la curiosité malsaine et excitante n’a pas encore convaincus de se ruer chez leur libraire. À l’entendre, le conte noir de la famille Fritzl nous permettra de nous engouffrer dans les dédales de la psychologie comportementale et même d’aborder des questionnements existentiels –l’auteur situe son ouvrage aux confins de la philosophie, puisqu’il l’amorce par le mythe platonicien de la caverne. Où et dans quelle mesure diffèrent la réalité et sa représentation pour le sujet cloitré ? Quelle demeure la possibilité du bonheur pour l’être privé de liberté ? Comment saisir le paradoxal amour qui peut naître entre la victime et le bourreau (ou psychopathétique syndrome de Stockholm) ? Etc., etc.
On est attiré… puis on est bien déçu ! Car – et c’est vrai qu’on avait été un peu prévenu – on ne nous sert que du lourd, du glauque, du sordide, du crado… et rien d’autre. À défaut de porter une vraie réflexion, le récit se présente à l’image du fait divers qu’il rapporte : brut, cru et dérangeant. L’auteur tartine sur des descriptions fouillées qui ne nous épargnent rien, il élucubre sans relâche sur les pulsions sexuelles du psychopathe et campe les personnages à la limite de la caricature, déballant un récit fracassant, un document-choc, selon nous comparable à ceux d’une graveleuse mais vendeuse presse à scandale, en définitive bien inutile – sauf à son éditeur !
THÉMIS
Claustria par Régis Jauffret, Paris, Éditions du Seuil, janvier 2012, collection « Cadre rouge », 540 pp. en noir et blanc au format 14,5 x 22 cm sous couverture brochée en couleurs, 12,90 € (prix France)