Vie et mort d’un scélérat

Un vieil écrivain trotskiste belge à qui nous avions demandé en 1987, dans le cadre de recherches menées pour un projet de thèse doctorale, pourquoi il avait collaboré avec les nazis durant la Seconde Guerre mondiale, nous répondit qu’il admirait les réalisations sociales du IIIe Reich et que si pour les atteindre il fallait se mettre dans le camp du national-socialisme, cela passait par pertes et profits, car « on ne fait pas d’omelette sans casser les œufs »…

Cette réflexion cynique nous est revenue à la lecture du formidable Trotski publié aux Éditions Perrin à Paris, une biographie magistrale rédigée par un historien britannique (on connaît leur sérieux) enseignant à l’université d’Oxford, Robert Service, ayant eu accès à quantité de documents officiels russes (merci la chute du Mur de Berlin) et d’archives privées qui lui ont permis de remettre les pendules à l’heure une bonne fois pour toutes.

Car si l’adversaire de Staline eut longtemps – et a encore parfois – les faveurs d’intellos bobos quelque peu naïfs qui voyaient en lui le prophète de la révolution à visage humain, on est en réalité loin du compte, et sur tous les plans.

Voici le portrait synthétique qu’en donne Robert Service : « Révolutionnaire, chef de guerre, mais aussi écrivain brillant, amoureux des femmes, Juif en conflit avec ses racines, père de famille, icône puis bouc émissaire et victime traquée, Léon Trotski a vécu l’une des vies les plus extraordinaires qui soient. Fondateur de l’Armée rouge, opposant à son rival Staline qui le pourchasse à partir de 1929, en Turquie, en France puis au Mexique, sa vie s’achève dans un apogée de violence à l’image de son existence tourmentée. Théoricien “pur” d’apparence, cet homme aussi monstrueux que génial fut habité par l’obsession du pouvoir, sans jamais parvenir à le conserver ».

On ajoutera que Trotski apparaît aussi dans l’ouvrage comme un être sanguinaire, tortueux, opportuniste (dans ses rapports – façon girouette –avec Lénine, par exemple), lâche (notamment vis-à-vis de son épouse et de ses deux premiers enfants qu’il abandonna à leur sort en s’évadant de Sibérie en 1902), traître à ses origines et à ses amis (ainsi, il coucha sans vergogne avec Frida Kahlo, la femme de Diego Rivera qui l’avait accueilli en exil au Mexique en 1937 : « Faites du bien à un vilain, il vous crache dans la main », dit l’adage), tricheur (son autobiographie est un tissu de mensonges), extraordinairement imbu de sa personne, dépourvu de tout sens humain, parfaitement incapable d’empathie et, plus aberrant encore, très médiocre politique.

Bref, un beau salaud, comme aurait rugi Jean-Paul Sartre…

PÉTRONE

Trotski par Robert Service, Paris, Éditions Perrin, septembre 2011, 620 pp. en noir et blanc au format 15,5 x 24 cm sous couverture brochée en couleurs, 27 €  (prix France)

Date de publication
mercredi 18 janvier 2012
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