Fort belle biographie de Pierre Drieu La Rochelle que celle parue récemment chez Perrin sous la plume de l’historien Jacques Cantier. Basée sur une riche documentation maniée avec érudition, elle s’attache à démonter et reconstruire les mécanismes complexes de la vie d’un écrivain qu’il est heureux de découvrir ou de mieux appréhender. Car Drieu, comme Céline ou Aragon (avec qui il se lia d’amitié avant que l’un et l’autre se vouent une haine farouche), fut autant un salaud par ses idées qu’un génie par son talent.
Soulignant bien la marque indélébile des atrocités de la Grande Guerre dans l’âme et les lettres de l’auteur de La comédie de Charleroi, Cantier nous redessine, à travers le récit sa vie, tout le décor du Paris littéraire et artistique des années folles d’abord, et de l’Occupation ensuite.
On y retrouve, à l’instar de tous les « paumés » de la guerre, un Drieu archétype du jeune intellectuel issu d’une famille bourgeoise (famille et classe qu’il fustigera plus tard dans sa Rêveuse bourgeoisie), revenu des combats dans un monde qui n’est plus le sien, et dont l’engagement vers le fascisme semble être l’évolution naturelle. Appartenant un temps au cercle des surréalistes, il céda petit à petit à la séduction des sirènes d’un Ordre Nouveau qui balaierait ce monde qu’il haïssait. C’est sur cette progression intellectuelle que Cantier revient fort à propos dans les premiers développements de son ouvrage, s’appuyant sur les textes de Drieu où il se met lui-même en scène avec ses proches, amis et ennemis (notamment dans son très fameux Gilles), pour brosser le portrait d’une génération de jeunes gens déçus par leurs contemporains et pour qui cette « révolution à droite » semblait être la seule planche de salut face au danger du bolchévisme.
L’évolution de ses engagements politiques des années trente à l’Occupation trouve bien entendu une place de choix dans cette biographie, au même titre que ses rapports confus avec le monde de l’édition (en particulier avec Gallimard) et les revues auxquelles il collabora, sans jamais pourtant tomber dans la facilité du jugement ou dans le récit trop fastidieux. Son accession à la tête de la NRF, et sa direction de la revue sont ainsi, par exemple, fort bien évoquées.
Au final, du Don Juan de Paris durant les années vingt à celui du Drieu collaborationniste des années grises, c’est le portrait d’un homme qui nous apparaît tantôt bien fragile et triste (dans une époque qui le fut tout autant), tantôt cruel et ambitieux. Un homme pétri d’idées horribles, et pourtant doté d’un immense talent dont on fait la connaissance intime durant les quelques heures où l’on dévore cet ouvrage passionnant.
EUTROPE
Pierre Drieu La Rochelle par Jacques Cantier, Paris, Éditions Perrin, avril 2011, 315 pp. en noir et blanc au format 14 x 21 cm sous couverture brochée monochrome, 22 € (prix France)