Ainsi donc, les anciens combattants des grandes grèves enseignantes de 1990 et 1996 ont ressorti leur épée du fourreau, entraînant avec eux quelques-uns de leurs jeunes collègues (si tant est qu’ils en trouvent, pénurie oblige…).
Fait exceptionnel : les gendarmes, probablement impressionnés de retrouver dans la rue ceux qui leur avaient appris à compter, ont donné des chiffres de participation semblables à ceux des syndicats : 10 à 12 000 protestataires ont défilé dans les rues de Liège. Les causes de ce mécontentement sont connues : revalorisation salariale ridicule (5 euros net par mois !), conditions de travail de plus en plus pénibles, manque criant de moyens, pénurie d’enseignants et surtout modification des possibilités de départ anticipé en fin de carrière.
Dans un premier temps, le gouvernement de la Communauté française, ministre (cdH) de l’Éducation en tête, a dissimulé son inquiétude, face à un mouvement social dont le passé a montré la potentielle vigueur, en faisant front : les caisses sont vides, pas un euro supplémentaire n’est à espérer… punt aan de lijn !
Jusqu’à ce que, au cœur de la forêt de Sherwood ertébéenne, la ministre fédérale Joëlle Milquet se souvienne qu’elle était encore présidente du cdH et tente d’abattre « Robin des Bois » en décochant une flèche perfide à ses coreligionnaires alliés du proscrit de Sherwood : « Marianne » Simonet et « Petit Jean » Antoine (qui ne sont quand même « que » ministres communautaires de l’Éducation et du Budget !).
Le décret ainsi nommé devait initialement, dans une Communauté française totalement désargentée, apporter 40 millions d’euros (ramenés à 8 à la suite des réactions qu’il a suscitées) en transférant par autofinancement des moyens en subsides et en personnel des écoles « riches » aux écoles « pauvres ». Tous ceux qui connaissent la situation réelle des établissements scolaires savent que ce Robin des Bois mal nommé prend plutôt aux « pauvres » pour donner aux « plus pauvres ».
Quelle mouche a donc piqué la Shérif de Nottingham de la rue des Deux-Églises pour qu’elle désavoue ainsi sur antenne ses collègues ministres cdH et surprenne ses partenaires socialistes et écologistes qu’elle avait négligé d’avertir de son initiative ?
Probablement la volonté d’être la première à apporter une réponse (très partielle) aux revendications de la rue, même si le décret en question est loin d’être la première préoccupation des enseignants. Tout aussi probablement la nécessité de remonter la cote d’un cdH en constante perte de vitesse dans les sondages en cassant (si c’est encore possible) l’image négative d’un parti « scotché » à son grand frère du boulevard de l’Empereur et en tentant de récupérer une partie des intentions de vote des parents et enseignants des écoles catholiques, autrefois vivier traditionnel du PSC.
Ce combat martial semble pourtant perdu d’avance. Il ne ramènera pas dans le giron social-chrétien (pardon, démocrate-humaniste) les parents aisés, ces « richards » (Cœur de Lion) dont les enfants fréquentent les établissements les plus désavantagés par les transferts envisagés, mais qui ne digèrent pas le soutien du cdH au décret « inscriptions » qui a tant perturbé les bonnes habitudes de sélection « entre amis » à l’entrée de l’enseignement secondaire.
Il ne convaincra pas davantage les parents de milieu modeste qui, dans le virage à gauche opéré depuis quelques années par le parti de Dame Joëlle ne voient qu’opportunisme et privilégient logiquement l’original PS à la copie cdH.
Quant aux enseignants du « libre », ils n’ont pas oublié le mépris affiché à leur égard lors des combats de 1990 et 1996 par le parti dont le cdH est l’héritier. Comme ils ne digèrent pas la persistance des liens privilégiés que l’ex-parti du Trône et de l’Autel entretient avec le Secrétariat de l’Enseignement catholique, la présence d’un proche des démocrates-humanistes à la tête du Segec auquel il imprime une orientation patronale droitière ne faisant que confirmer cette collusion peu favorable aux intérêts des travailleurs des écoles de ce réseau.
La flèche de Joëlle Milquet a donc plus que vraisemblablement manqué sa cible, mais son attaque inattendue du célèbre hors-la-loi lui aura permis de faire parler d’elle sans trop de risque, sachant qu’en cas d’échec de l’opération, les conséquences pour son parti devront être gérées par le président suivant… L’actuel sympathique et efficace ministre wallon de l’Agriculture, de la Ruralité, de l’Environnement et du Tourisme pourrait bien devenir ainsi un nouveau « Jean sans Terre ».
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