En faisant paraître en avril dernier aux Éditions Les Belles Lettres à Paris un essai intitulé Luxe et luxure à la cour des papes de la Renaissance, la docteure de l’École Pratique des Hautes Études Anne Kraatz se doutait-elle que la réalité d’hier ressusciterait si vite et avec autant de vigueur ? Elle rappelle en tout cas que nombre de papes d’alors, tels Paul II, Sixte IV, Innocent VIII, Alexandre VI Borgia, Jules II, Léon X ou Paul III, ainsi que leur entourage, ont allègrement jeté aux orties leurs vœux de chasteté, de pauvreté et d’humilité pour s’engager dans la pratique des plaisirs défendus et dans l’étalage d’un luxe insolent, ainsi que dans les voies scabreuses du paganisme grec et égyptien (les amours des dieux de l’Olympe ornés d’inscriptions en lettres arabes ont même étés gravés dans le bronze de la porte de Saint-Pierre de Rome, sans d’ailleurs que personne n’y prît garde avant elle…).
Déguisés en Turcs ou en César pour le carnaval, propriétaires de maisons de plaisir, se livrant sans pudeur à une sexualité débridée avec femmes, hommes, esclaves ou enfants, amphitryons de banquets somptueux, avides de bijoux, ces indignes successeurs de l’apôtre Pierre ont commis tous les « péchés capitaux » et leurs pontificats regorgent d’exemples des plus scandaleux, comme le souligna déjà Savonarole, dans un sermon de 1497, qui tonna contre le fait que « l’un passe la nuit avec sa concubine, l’autre avec un jeune garçon, puis le matin ils s’en vont dire la messe », tout benoîtement.
Anne Kraatz s’interroge en profondeur sur les causes de telles dérives et conclut sur les contradictions humaines dans un contexte munificent, d’autant que c’est à ces bandards pendards que l’on doit l’érection des plus beaux monuments chrétiens et l’essor du pouvoir politique de Rome en Europe et dans le monde…
Et voilà pourquoi, pensions-nous in petto en la lisant, l’évêque de Bruges, dont les érections furent diverses et multiples, est en réalité un pur martyr de nos temps modernes…
PÉTRONE
Luxe et luxure à la cour des papes de la Renaissance par Anne Kraatz, Paris, Éditions Les Belles Lettres, collection « Realia », avril 2010, 249 pp. en noir et blanc au format 14 x 22,5 cm sous couverture brochée en quadrichromie, 21 € (prix France)