Professeure de littérature française médiévale à l’Université de Reims Champagne-Ardenne, Karin Ueltschi est notamment une spécialiste très érudite du Mesnagier de Paris qu’elle a traduit et commenté en 1994.
Elle y revient brillamment et superbement dans Vivre en bourgeoise au Moyen Âge – Les leçons du Mesnagier de Paris (1393) (Paris, Les Belles Lettres), un ouvrage magnifiquement illustré en quadrichromie dans lequel elle décrit et explique les tenants et les aboutissants politiques, économiques, sociaux et culturels de la vie quotidienne de la nouvelle « classe moyenne » au sein de la capitale du royaume de France à la fin du XIVe siècle.
Rédigé aux alentours de 1393, en pleine période d’essor urbain et d’émergence de la bourgeoisie, le Mesnagier de Paris est un livre manuscrit d’économie domestique et culinaire.
Il est attribué à un bourgeois parisien vieillissant, qui l’aurait écrit à l’intention de sa jeune épouse âgée de 15 ans afin de lui apprendre la façon de tenir sa maison et l’art de cuisiner.
L’ouvrage comprend des enseignements en matière de comportement social, religieux et sexuel, des développements sur la gestion de la maisonnée et des domestiques, des recettes nombreuses et des conseils pour la chasse, l’achat et le soin des chevaux ou encore le jardinage, ainsi qu’un traité d’autourserie[1] et des astuces pour conserver le lait, chasser les puces des fourrures, faire passer du bœuf pour de la venaison d’ours ou changer du vin blanc en vin rouge
L’intérêt du Mesnagier de Paris est autant historique et linguistique que gastronomique, et il passe pour le plus grand traité culinaire français du Moyen Âge.
Écoutons Karin Ueltschi :
« L’apprentissage des bienséances sociales est au cœur de l’enseignement : elles semblent même l’emporter sur les impératifs spirituels, infléchissement remarquable dans un univers qui se laïcise, où culture populaire et savoir-faire technique se frottent aux traditions savantes et aux lettrés, et où les vertus humaines doivent trouver à s’épanouir au plus épais du quotidien, la bonne réputation faisant figure de bien absolu.
Le Mesnagier de Paris, miniature[2].
L’harmonie du couple est au cœur de l’affaire : si l’exigence de l’obéissance inconditionnelle de l’épouse à son mari est rappelée avec insistance, bien des nuances se glissent dans cette leçon subtile empreinte de prévenance. Ainsi, en creux du vieux parchemin ne se dessine pas seulement le contour de la parfaite bourgeoise, mais également l’aimable portrait d’un mari délicat, d’un prudhomme qui nous a laissé l’exquis tableau d’une jeune femme du temps jadis. »
Captivant !
PÉTRONE
Vivre en bourgeoise au Moyen Âge – Les leçons du Mesnagier de Paris (1393) par Karin Ueltschi, Paris, Éditions Les Belles Lettres, octobre 2024, 270 pp. en quadrichromie au format 13,5 x 21,5 cm sous couverture brochée en couleurs, 25,90 € (prix France)
TABLE DES MATIÈRES
En guise de dédicace
Introduction
Un livre où manquent des noms
L’aventure ordinaire d’un manuscrit
I. Le manuel de la parfaite épouse : les leçons d’un mari
L’instruction féminine
Qu’il faut des modèles et des repoussoirs
Rigueur contrainte ?
Masculin et féminin : chercher un équilibre
II. Une ville et ses habitants au Moyen Âge
Vivre à Paris
L’ordre bourgeois
Au service du roi
L’apprentissage de la « laïcité »
III. Une maison dans la ville
La bonne ménagère
La gouvernance des domestiques
De la culture matérielle
Connaissances rurales
IV. Dans la cuisine : le cuit et le bouilli
L’extraordinaire : quelques menus prestigieux
L’ordinaire : les potages
Transformer, épicer, manger
Du gras et du maigre
V. De la chambre : l’esprit et la lettre
Des biens du mariage ou de la prudefemme
De l’obéissance
Discrétion, mesure, honneur : l’invention d’une vertu sociale
Le soupçon
Des tabous : pour une sainte ignorance
Conclusion – Par la fenêtre plutôt que par la porte
Éléments bibliographiques
Index
Table des illustrations
V
[1] Discipline concernant l’élevage et le dressage (pour la chasse) des autours, qui sont des oiseaux de proie.
[2] Photo : https://fr.wikipedia.org.