Une sécession manquée de peu…

Correspondant du Figaro (Paris) et du Soir (Bruxelles) à New York, Maurin Picard (°1973) est l’auteur, entre autres et aux Éditions du Seuil en 2019, d’Ils ont tué Monsieur H. Congo, 1961 : le complot des mercenaires français contre l’ONU, un essai historique consacré à la mort mystérieuse, le 18 septembre 1961, du secrétaire général de l’Organisation des Nations unies, le Suédois Dag Hammarskjöld (°1905), dont le corps fut retrouvé dans une forêt à une dizaine de kilomètres de Ndola, en Rhodésie du Nord (actuelle Zambie), au sein de l’épave du DC-6 qui l’amenait dans cette ville pour y rencontrer le président du Katanga indépendant Moïse Tshombé (1919-1969).

Élargissant son sujet, Maurin Picard publie aujourd’hui chez Perrin un nouvel opus, Katanga !– La guerre oubliée de la Françafrique contre l’ONU, dans lequel il apporte la démonstration de l’ingérence du gouvernement français d’alors – et donc de Charles de Gaulle – dans le soutien apporté par la « cellule des Affaires africaines et malgaches » de l’Élysée dirigée par Jacques Foccart (1913-1997)[1] aux « affreux »[2], des mercenaires parmi lesquels on comptait des ex-officiers d’élite de l’armée française ayant combattu en Indochine puis en Algérie et très proches de l’OAS[3], des prétoriens dont Paris s’était débarrassé en leur donnant pour mission d’épauler et former l’armée sécessionniste katangaise.

Bref retour sur les faits :

Le 30 juin 1960, dans l’impréparation la plus totale, le Congo belge accède à l’indépendance.

À sa tête, un triumvirat s’impose de facto : Joseph Kasa-Vubu (1917-1969), Président de la République, Patrice Lumumba (1925-1961, assassiné), Premier ministre, et Joseph-Désiré Mobutu (1930-1997), chef d’état-major adjoint de l’armée.

Dès le mois de juillet, la richissime province du Katanga[4] fait sécession de la nouvelle République démocratique du Congo (RDC) et proclame à son tour son indépendance sous l’impulsion de Moïse Tshombé et des milieux d’affaires pro-occidentaux.

Moïse Tshombé, qui bénéficiait du soutien des réseaux de Jacques Foccart, recruta aussitôt des mercenaires français, belges et sud-africains[5], tandis que le gouvernement belge déployait des troupes, officiellement afin d’assurer la sécurité de ses ressortissants (mais aussi de ses intérêts économiques).

Accusé d’être à la remorque de l’URSS, Patrice Lumumba fut destitué en septembre 1960 lors d’un coup d’État orchestré par Joseph Mobutu.

Soutenu par la CIA, Mobutu engagea alors l’Armée nationale congolaise (ANC) à la reconquête de la province dissidente, mais sans grand succès.

Les mercenaires « katangais », initialement appuyés par trois Fouga Magister[6] achetés en France et livrés en février 1961, luttèrent contre l’ANC, mais aussi, et surtout, de décembre 1960 jusqu’à la fin de la sécession, en janvier 1963, ils tinrent tête aux 16 000 Casques bleus envoyés sur place sous l’impulsion de Dag Hammarskjöld, allant, en recourant à des méthodes de guérilla et de contre-guérilla éprouvées, jusqu’à leur infliger une défaite militaire retentissante avant de battre en retraite sur ordre.

Les forces militaires sous l’égide des Nations unies purent alors mettre un terme à leur campagne de réintégration du Katanga au Congo conclue par un plan de réconciliation nationale en janvier 1963.

Conclusion de l’ouvrage de Maurin Picard remarquablement documenté et qui se lit comme un page turner :

« Loin d’être une simple escapade de mercenaires, le projet visait à étendre le pré carré de la France, se tailler une part du gâteau de l’ex-Congo belge, contrer la pénétration soviétique et coiffer sur le poteau les Anglo-Saxons pour l’exploitation des ressources minières stratégiques, tout en présentant le Katanga comme un poste avancé de la lutte anticommuniste mondiale. »

Pas moins !

PÉTRONE

Katanga ! – La guerre oubliée de la Françafrique contre l’ONU par Maurin Picard, Paris, Éditions Perrin, juin 2024, 400 pp. en noir et blanc au format 14 x 21 cm sous couverture brochée en couleurs, 24 € (prix France)


[1] Jacques Foccart, né Jacques Koch-Foccart le 31 août 1913 à Ambrières-les-Vallées (Mayenne) et mort le 19 mars 1997 à Paris XVIIe, était un homme d’affaires et un homme politique français. Ancien résistant, gaulliste historique, il a mené diverses activités commerciales avant de devenir secrétaire général de l’Élysée aux affaires africaines et malgaches de 1960 à 1974 sous le général de Gaulle puis sous Georges Pompidou, devenant un personnage central de cette politique qui sera désignée plus tard sous le nom de « Françafrique ». Considéré comme un des hommes de l’ombre du gaullisme, il utilisa toutes les méthodes pour contrôler ou étouffer l’opposition. Il s’employa à être l’influent ami des chefs d’État, recourant aussi aux méthodes les plus brutales. (Wikipédia)

[2] Leurs équipements hétéroclites, leurs vêtements improvisés et leurs visages souvent dévorés de barbe les firent surnommer les « affreux » par la population belge qui était restée sur place.

[3] L’Organisation de l’armée secrète, ou Organisation armée secrète, surtout connue par le sigle OAS, était une organisation terroriste clandestine française proche de l’extrême droite créée le 11 février 1961 pour la défense de la présence française en Algérie par tous les moyens, y compris le terrorisme à grande échelle.

[4] « Scandale géologique » d’une superficie proche de la taille de l’Espagne, le plateau du Katanga qui accueillait de nombreuses fermes d’élevage et d’agriculture renferme de très importants gisements de cobalt, cuivre, fer, radium, uranium et diamant.

[5] Dont Michel Badaire, André Bourges, Marius Bousquet, Gérard Charlot, Léon Égé, Roger Emeyriat, Roger Faulques, François Hetzlen, Yves de La Bourdonnaye-Montluc, Henri-Maurice Lasimone, Serge Paire, Paul Ropagnol, Tony de Saint-Paul, Roger Trinquier, Edgard Tupët-Thomé, Michel Vidal de Clary, Robin Wrenacre, l’ex-sous-lieutenant de l’armée française Bob Denard, ainsi que le planteur belge Jean Schramme.

[6] Premier avion d’entrainement à réaction au monde, le Fouga CM.170 Magister est un avion à réaction biplace subsonique conçu en France au début des années 1950 par le département aviation des Établissements Fouga & Cie. Reconnaissable à son empennage arrière en V, il a été fabriqué à près d’un millier d’exemplaires en France et sous licence en Allemagne de l’Ouest, en Israël et en Finlande. Il a été mis en service par une vingtaine de pays et a également été utilisé en appui aérien rapproché, notamment pendant la guerre des Six Jours en 1967. (Sources : Wikipédia.)

Date de publication
mercredi 4 septembre 2024
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