Agrégé d’histoire et docteur ès lettres auteur de nombreux ouvrages[1], Alain Cabantous (°1946) est un historien moderniste français spécialiste d’histoire sociale et culturelle, professeur émérite d’histoire moderne à l’université de Paris I-Panthéon-Sorbonne dont les travaux portent sur trois axes de recherches principaux dans le cadre de l’Europe du Nord-ouest du début du XVIIe au début du XIXe siècle, à savoir :
– l’histoire des populations maritimes et portuaires ; les mondes de la mer
– l’histoire sociale de la culture (temps, espaces et société : blasphème, nuit, dimanche, Noël)
– l’histoire urbaine : quartiers et espaces publics[2].
Dans Une histoire de la Petite Église en France (XIXe-XXIe siècle), un essai très documenté publié par les Éditions du Cerf à Paris, il se penche sur un phénomène largement méconnu du grand public, celui des communautés dissidentes de Bartassiers, d’Enfarinés[3] et autres Louisets[4] qui, dans l’Hexagone et en Belgique, ont constitué depuis la Révolution française et jusqu’à nos jours au sein de l’Église catholique une sorte de cinquième colonne composée des descendants de ceux et celles qui refusèrent la Constitution civile du clergé de 1790 et le Concordat signé en 1801 par le Premier consul Bonaparte et le pape Pie VII en raison du mécontentement engendré soit dans le chef de certains évêques gallicans de l’Ancien Régime, en raison de la perte de leur siège épiscopal, soit au sein de la paysannerie de province – particulièrement dans les régions demeurées favorables à la royauté – désorientée par les mutations concordataires comme les nouvelles lois sur le mariage, la modification des fêtes chômées, le redécoupage des évêchés… mais surtout par le fait que le pape puisse rompre la chaîne de succession apostolique en démettant un évêque.
Organisées dans un premier temps autour d’un clergé non concordataire, une quarantaine de communautés locales dissidentes, souvent influencées par le jansénisme ou la théologie augustinienne, ont ainsi vu le jour en France, rassemblant jusqu’à 100 000 fidèles au début du XIXe siècle.
Réputés pour leur grande discrétion, leur respect strict des dogmes anciens et leurs pratiques religieuses d’Ancien Régime, ces groupes d’opposants minoritaires – d’où leur appellation autoproclamée de « Petite Église » – se caractérisaient (et le font encore) par un manque d’unité, une culture d’opposition aux pouvoirs civil et religieux ainsi que par la célébration de messes sans prêtres (en raison de la disparition progressive du clergé non concordataire dont le dernier représentant est mort en 1852 alors qu’aucun de ses évêques n’avait consacré de successeur susceptible d’ordonner de nouveaux prêtres).
La dénonciation du Concordat en 1905 et différentes tentatives de rapprochement n’ont pas modifié la situation de ces communautés vis-à-vis de l’Église catholique.
Il a existé une Petite Église en Belgique, plus particulièrement dans la province de Namur ; l’abbé Gilles-François Theys (1755-1837) fut à l’origine de ce mouvement qui ne comptait déjà plus qu’un petit nombre de membres laïcs vers 1870, et en compte encore quelques-uns aujourd’hui, mais sans clergé.
Ajoutons que Wavre, dans le Brabant wallon, abrite le siège international de la « Petite Église Apostolique Vieille Catholique ». En 2021, cette communauté syro-gallicane de 300 membres, fondée à l’instigation de l’ecclésiastique Corneille Stevens (1747-1828), s’est démarquée des autres courants anticoncordataires en entérinant sa communion avec les Petites Églises orientales par son entrée dans la Conférence des Églises Syriaques Orthodoxes Non-Chalcédoniennes occidentales (CESONCO).
« – Étonnant, non ? », aurait dit Pierre Desproges…
PÉTRONE
Une histoire de la Petite Église en France XIXe-XXIe siècle par Alain Cabantous, Paris, Les Éditions du Cerf, octobre 2023, 258 pp. en noir et blanc au format 15 x 23 cm sous couverture brochée en couleurs, 26 € (prix France)
TABLE DES MATIÈRES
Introduction : Saisir l’insaisissable ?
Chapitre 1. – Histoires d’une histoire
Pour une histoire régressive
Les effets du Concordat
Après la Constitution civile du clergé
L’héritage du jansénisme
Jeu de couple : politique et religion
Deux lieux et trois temps d’une histoire longue
Bataille de mitres ou le territoire de l’exil
Des prêtres sans évêques ou le territoire de l’affirmation
Le temps des fidèles ou le territoire de l’incertain
Chapitre 2. – Géographies religieuses
État des lieux
Enseignement topographique
L’empreinte équivoque de l’événement
Les tourments du paysage
Le terrain des acteurs
Des prêtres et… des laïcs
Tracés de gens en marche
Chapitre 3. – Bouleversements ecclésiologiques
La contradiction des pratiques
Maintien du système
Statuts antinomiques
Poursuivre le ministère sacerdotal
Miracles, prophéties et fin du monde
Entre secours et miracles
Prophéties et fin des temps
Divisions
Chapitre 4. – Une autre société religieuse
Un monde brouillé ?
Sociétés éclatées
Église sans prêtres
Des hommes et des femmes : une originalité assumée
Héritages et prolongements
L’autre moitié du ciel
Chapitre 5. – La modernité comme tradition
Captations sacramentelles ou le pragmatisme à l’œuvre
Sacrements recevables
Une trilogie sacramentelle
Les rythmes du temps
Jours, dimanches et fêtes
Autres lieux, autres temps.
Chapitre 6. – Malgré tout… survivre
Des isolats aux reliquats
Saisies incertaines
Les agents des déclins
Portrait de groupe
Une culture clandestine
Mémoire et histoire
Les marges à l’œuvre
Chapitre 7.- Eux et les autres
Les marques du refus
Fuir les catholiques
Conflits
Contre courants assumés
(Des)intégrations
Déplacements contemporains
Et toujours la mort pour finir
Conclusion. – De quoi la Petite Église est-elle le nom ?
Sources imprimées et bibliographie
Index des noms de lieux
[1] La mer et les hommes. Pêcheurs et matelots dunkerquois de Louis XIV à la Révolution (1980) ; Histoire de Dunkerque (direction et participation, 1983) ; La Vergue et les Fers. Mutins et déserteurs dans la marine de l’ancienne France (1984) ; Dix mille marins face à l’Océan aux XVIIe et XVIIIe siècles (1991) ; Foi chrétienne et Milieux maritimes, XVe-XXe siècles (co-édité avec Françoise Hildesheimer, 1989) ; Le Ciel dans la Mer. Christianisme et Civilisation maritime. XVIe-XIXe siècles (1990) ; Les côtes barbares. Pillages riverains et sociétés littorales. 1680-1830 (1993) ; Les citoyens du large. Les identités maritimes en France. XVIIe-XIXe siècles (1995) ;
L’histoire du blasphème en Occident, fin XVIe-milieu XIXe siècle (1998, 2015) ; Entre fêtes et clochers. Profane et sacré dans l’Europe moderne. XVIIe-XVIIIe siècles (2002) ; Mythologies urbaines. Les villes entre histoire et imaginaire (dir., 2004) ; Les Français, la terre et la mer. XIIIe-XXesiècles (codirection avec André Lespagnol et Françoise Péron, 2005) ; Histoire de la nuit. xviie-xviiie siècles (2009) ; Mer et montagne dans la culture européenne. XVIe-XIXe siècles (co-éd., 2011) ; Le dimanche, une histoire, Europe occidentale. 1600-1830 (2013) ; Être marin. Europe occidentale, 1550-1850 (avec Gilbert Buti, 2016) ; Noël, une si longue histoire (avec François Walter, 2016) ; Les ombres de Clio. Recherches sur les nuits historiques. XVIIe-XXe siècles (dir., 2018) ; de Charybde en Scylla. Risques et fortunes de mer du XVIe siècle à nos jours (avec Gilbert Buti, 2018) ; Les tentations de la chair. Virginité et chasteté. XVIe-XXIe siècles (avec François Walter, 2020) ; Les mutins de la mer. Rébellions maritimes et portuaires en Europe occidentales. XVIIe-XVIIIe siècles (avec Gilbert Buti, 2022).
[2][2] https://fr.wikipedia.org/wiki/Alain_Cabantous
[3] Les membres de ces communautés aveyronnaises furent surnommés les Enfarinés parce qu’ils gardaient les cheveux longs et poudrés à la mode de l’Ancien Régime.
[4] Ce nom provient de celui du dernier lieu de culte public où se réunissaient les membres de cette communauté bretonne, la chapelle de l’hôpital Saint-Louis de Fougères.