Issu d’un milieu rural désargenté et élevé à la dure sur les Îles Lofoten par un oncle piétiste[1], l’écrivain autodidacte norvégien Knud Hamsun (1859-1952) s’est vu décerner le prix Nobel de littérature en 1920 pour la qualité hors norme de ses écrits dans lesquels il se penche sur les méandres tortueux de la psychè humaine et ses rapports avec son environnement dans des œuvres d’une force inouïe comme La Faim (1890), Pan (1894), L’Éveil de la glèbe (1920) ainsi que Mystères (1892) qui ressort à Paris aux Belles Lettres à l’initiative bienvenue de Jean-Claude Zylberstein, un roman dont, pour l’écrivain américain Henry Miller (1891-1980) : « L’amertume, la folie, la haine, le mépris, les dénigrements qui se donnent libre cours dans Mystères ne doivent pas nous faire oublier que Hamsun était d’abord et avant tout un amoureux de la nature, un solitaire, un poète du désespoir ».
En voici le pitch :
Durant le dernier tiers du XIXe siècle, Johan Nagel, décrit d’emblée comme un « charlatan étrange et singulier » a fraîchement débarqué dans une paisible petite ville côtière de Norvège. Apparemment indifférent à tout, il se présente à son hôtelier comme agronome et annonce qu’il pourrait demeurer là pendant quelques mois. Nagel fait ensuite la connaissance de Minûte, un pauvre infirme qui lui en apprend davantage sur la ville, sur le suicide – ou le crime – récent de Karlsen, un jeune homme dont le corps a été retrouvé dans la forêt, les poignets tranchés par le couteau de la fille du pasteur, Dagny Kielland, admirée pour sa beauté. Nagel la rencontre et elle fait sur lui une vive impression. Il la revoit à maintes reprises, se joignant à son groupe de connaissances qu’il amuse par sa personnalité bizarre et pleine de surprises. Il finit par s’éprendre éperdument de Dagny que ses histoires et ses contradictions embrouillent. Mais l’amour est impossible et Nagel sombre peu à peu dans la folie et le désespoir. Il demande la main de Martha Gude, une marchande d’œufs à qui il a auparavant acheté une vieille chaise sans valeur pour 200 couronnes, mais Martha refuse le mariage et Nagel, qui y voit l’œuvre mauvaise de Dagny, finit par se donner la mort.
L’intérêt de Knut Hamsun pour les errements de l’âme humaine a-t-il par la suite ravagé son cœur et son esprit ?
Toujours est-il que son soutien au parti pronazi de Vidkun Quisling, le Nasjonal Samling, durant la Seconde Guerre mondiale, a durablement terni la réputation de cet écrivain auparavant adulé dans son pays.
En 1943, Hamsun fut reçu par Adolf Hitler. Il offrit ensuite sa médaille du prix Nobel à Joseph Goebbels. Le 7 mai 1945, une semaine après la mort du Führer, il publia dans le journal Aftenposten un bref texte rendant hommage au chef du régime nazi, qu’il qualifia de « guerrier pour l’humanité ». Le 29 mai, il fut interné et son procès continuellement repoussé.
Pour éviter de le juger pour tous ses actes, les institutions norvégiennes décidèrent t de le considérer comme « personnalité aux facultés mentales affaiblies de façon permanente », ce que la publication de sa dernière œuvre, Sur les sentiers où l’herbe repousse (1949), dans laquelle il relate ses aventures après la guerre, ballotté d’hospice en hospice, contredit indiscutablement.
Finalement, en 1948, il fut condamné à verser une amende de 325 000 couronnes norvégiennes pour son étroite collaboration avec le IIIe Reich[2].
Ces faits pour le moins lamentables n’ôtent cependant rien aux qualités immenses de Mystères qui, comme Voyage au bout de la nuit (1932), fut rédigé et publié in tempore non suspecto…
PÉTRONE
Mystères par Knut Hamsun, préface de Sylvain Venayre, ouvrage traduit du norvégien par Ingunn Guilhon avec la collaboration d’Alain-Pierre Guilhon, Paris, Éditions Les Belles Lettres, collection « Domaine étranger » dirigée par Jean-Claude Zylberstein, septembre 2023 [1955], 298 pp. en noir et blanc au format 12,5 x 19 cm sous couverture brochée en couleurs, 13,50 € (prix France)
[1] Le piétisme est un important mouvement religieux protestant fondé par Philipp Jacob Spener (1635-1705), un pasteur luthérien alsacien fixé à Francfort-sur-le-Main. En 1670, il forme des collegia pietatis (collèges de piété) qui répondent à la demande d’une plus grande piété. Dans son ouvrage Pia desideria de 1675, Spener insiste sur la nécessité d’une piété personnelle et sur le sentiment religieux individuel qu’il juge préférables à la connaissance de la stricte orthodoxie doctrinale.
[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/Knut_Hamsun