Luc Dellisse (°1953, Bruxelles), nouvelliste, romancier, essayiste, poète, dramaturge et scénariste de fictions audio-visuelles et de bandes dessinées, a enseigné le scénario de cinéma à la Sorbonne (2005-2014) et à l’École supérieure de réalisation audiovisuelle (2001-2005), ainsi qu’à l’Université libre de Bruxelles (2005-2018). Il a été élu à l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique le 11 septembre 2021, au siège de l’écrivain et journaliste Jacques De Decker (1945-2020).
Il publie chez Lamiroy à Bruxelles un essai court, mais sagace, Pierre Louÿs – Entre sexe et silence, dans lequel il se penche sur la vie tourmentée et l’œuvre gaillarde du poète et romancier français Pierre Félix Louis, dit Pierre Louÿs, né le 10 décembre 1870 à Gand et mort le 4 juin 1925 à Paris.
En 1891, Pierre Louÿs a fondé la revue littéraire La Conque, dans laquelle sont publiées les œuvres d’auteurs parnassiens et symbolistes comme Stéphane Mallarmé (1842-1898), Jean Moréas (1856-1910), Charles Leconte de Lisle (1818-1894) ou Paul Verlaine (1844-1896), mais également de jeunes poètes encore inconnus comme Paul Valéry (1871-1945), André Gide (1869-1951) et Pierre Louÿs lui-même.
Son premier recueil de poésies, Astarté, paraît en 1891, suivi de Chrysis ou la cérémonie matinale (1893), Poésies de Méléagre (traduction, 1893), Lêda ou la louange des bienheureux ténèbres (1893), La maison sur le Nil ou les Apparences de la Vertu (1894), Scènes de la vie des courtisanes de Lucien de Samosate, (traduction, 1894), et, la même année, Les Chansons de Bilitis qui reste son œuvre la plus connue et un exemple de mystification littéraire. En effet, Louÿs a fait passer ces poèmes pour une traduction d’une poétesse grecque contemporaine de Sappho[1].
Pierre Louÿs (ca 1895).
En guise de romans, on lui doit Aphrodite (mœurs antiques) paru en 1896, d’un style associant raffinement extrême, évocations sensuelles et décadentisme recherché, La Femme et le Pantin[2] (1898), inspiré des mémoires de Casanova et alliant au pessimisme la cruauté mentale dans une atmosphère complexe d’affects torturés, Les Aventures du roi Pausole[3] (1901), un ouvrage d’une ironique grivoiserie, et Trois filles de leur mère (1926, posthume), dans lequel il raconte avec une grande crudité ses difficiles relations avec les trois filles du poète José Maria de Heredia (1842-1905) et leur mère[4].
En 1919, il a publié dans la revue littéraire Comœdia un article intitulé « Molière est un chef-d’œuvre de Corneille », annonçant avoir mis au jour une supercherie littéraire, qui est à l’origine du débat sur la paternité des œuvres de Molière[5].
La cécité s’installe peu à peu dans les dernières années de sa vie, l’emmurant dans l’éloignement des passions et dans le silence de l’attente, après la mort sociale, de la mort physique qui surviendra à l’issue d’une crise d’emphysème.
Rendons grâce à Luc Dellisse d’avoir, par son article lumineux, sorti cet écrivain majeur de la sombre « fosse commune du temps »[6] pour le replacer un moment sous les feux de la rampe…
PÉTRONE
Pierre Louÿs – Entre sexe et silence par Luc Dellisse, Bruxelles, Éditions Lamiroy, collection « L’Article », mars 2023, 48 pp. en noir et blanc au format 10 x 14 cm sous couverture brochée en bichromie, 5,00 € (2€ en version numérique)
PRÉFACE
Comme tant d’autres, l’œuvre de Pierre Louÿs comporte une rupture.
Toutefois, cette rupture n’ouvre pas une nouvelle vision de la vie, elle n’est pas un reniement des anciens idéaux, comme chez Dostoïevski ou Nietzsche.
La seconde moitié de la vie de Pierre Louÿs, comme nous le montre admirablement Luc Dellisse, sera une exploration souterraine, une approche par le bas des racines de son œuvre de jeunesse.
Au poète des sensibilités du corps, au romancier de l’amour et à l’homme riche d’amitiés, les Muses jouent un mauvais tour et révèlent le côté farceur qu’elles tiennent des Parques.
La cécité croissante habitue le poète à l’obscurité. Il s’enfonce dans les formes les plus sombres de la littérature, il se met à voir des correspondances littéraires inimaginables en plein jour et s’abandonne aux délices sensibles sans visage.
« Ainsi la littérature est l’histoire de la destruction des hommes par leurs rêves », écrit Luc Dellisse. Ce qui signifie aussi, comme l’explique l’auteur de cet article, que les rêves des hommes tentent à détruire leur histoire, à les libérer de celle-ci.
Ce voyage hors de la vision historique, on le nomme « littérature ».
Maxime Lamiroy
[1] Sappho est une poétesse grecque de l’Antiquité qui a vécu aux VIIe et VIe siècles av. J.-C., à Mytilène sur l’île de Lesbos.
[2] De ce livre seront tirés d’abord une pièce de théâtre, La Femme et le Pantin, écrite par Pierre Louÿs et Pierre Frondaie, créée en décembre 1910, puis un drame musical, Conchita (1911) de Maurice Vaucaire et Carlo Zangarini sur une musique de Riccardo Zandonai, puis plusieurs films, La Femme et le Pantin, de Jacques de Baroncelli avec Conchita Montenegro (muet, 1929), La Femme et le Pantin (The Devil is a Woman) de Josef von Sternberg avec Marlène Dietrich (1935), La Femme et le Pantin de Julien Duvivier avec Brigitte Bardot (1959), et Cet obscur objet du désir de Luis Buñuel avec Fernando Rey et Carole Bouquet (1977).
[3] Adapté sous la forme d’une opérette, par Arthur Honegger, en 1930.
[4] En 1899, il a épousé la plus jeune fille de José-Maria de Heredia, Louise, après avoir été l’amant de sa seconde fille, Marie, elle-même épouse du poète Henri de Régnier (1864-1936).
[5] Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Lou%C3%BFs
[6] L’expression est de Georges Brassens (1921-1981), dans sa chanson Le Testament (1956).