Il est dans la langue de Voltaire tant de formules et d’expressions culinaires bien connues des amateurs, des fines gueules et des gastronomes pour désigner la bonne chère, et il y a tant d’ignorance sur les origines de ce répertoire !
On sait parfois que la pêche Melba fut créée vers 1892 au Savoy de Londres par le grand chef Auguste Escoffier (1846-1935) en hommage à la cantatrice australienne Nellie Melba (1861-1931 – elle avait donné son premier concert à Melbourne, d’où son nom de scène), que le poulet Marengo célébrait la victoire des armées napoléoniennes contre les Autrichiens le 14 juin 1800 et que le homard Thermidor fut inventé en 1891 pour fêter le triomphe du drame éponyme en quatre actes de Victorien Sardou (1831-1908).
Mais on sèche souvent à expliquer pourquoi telle sauce s’appelle allemande, béarnaise, béchamel, diable, espagnole, gribiche, impériale, ivoire, marchand de vin, Soubise, Robert ou Villeroy, pour quelle raison tel entremets est baptisé amandine, baba au rhum, conversation, crêpe Suzette, forêt noire, gâteau de plomb ou Paris-Brest et ce qu’il en est, parmi tant d’autres, de la dénomination des animelles, des amourettes, de la bisque, de la poularde demi-deuil, du bœuf miroton, de l’oreiller de la Belle-Aurore, du pot-pourri, du puits d’amour, du maître queux ou des pets-de-nonne…
C’est à combler cette lacune que la professeure de lettres, historienne de la littérature et linguiste française Claudine Brécourt-Villars s’est attelée dans Mots de table mots de bouche – Dictionnaire étymologique et historique du vocabulaire classique de la cuisine et de la gastronomie dont la troisième édition reparaît aux Éditions de la Table ronde, dans la fameuse collection « La petite vermillon », un ouvrage remarquable dans lequel elle expose notamment l’origine de termes comme « assiette anglaise », « chantilly », « cordon-bleu », « entremets », « feuilleté », « galimafrée », « gibelotte », « haricot de mouton » (qui n’a rien à voir avec la fève homonyme !), « julienne », « koulibiak », « madeleine », « Orloff », « pain d’épice », « paupiette », « potage à la jambe de bois », « rémoulade », « salade », « tablier de sapeur », « tranche napolitaine », « ursulines » ou encore « waterzooï »…
Sans oublier les préparations « à la » : barigoule, dodine, Du Barry, Dugléré, écarlate, financière, Godard, Joinville, Maintenon, Mirabeau, neige, normande, pauvre homme, Régence, Pompadour, ravigote, Zingara…
Un livre qui se dévore des yeux !
PÉTRONE
Mots de table mots de bouche – Dictionnaire étymologique et historique du vocabulaire classique de la cuisine et de la gastronomie par Claudine Brécourt-Villars, Paris, Éditions de la Table ronde, collection « La petite vermillon », juin 2023 [1996, 2009], 447 pp. en noir et blanc au format 11 x 17,5 cm sous couverture brochée en quadrichromie, 9,60 € (prix France)
Pour vous, nous avons recopié dans cet ouvrage passionnant les notices suivantes :
CAMBACÉRÈS (À LA)
Formule appliquée à différents mets raffinés placés sous le patronage de Jean-Jacques Régis de Cambacérès (1753-1824), archichancelier de l’Empire et gastronome illustre qui, après Talleyrand, avait la réputation d’avoir les plus somptueux dîners de Paris.
Se dit notamment d’une timbale de macaronis et de foie gras et d’une truite saumonée aux écrevisses et aux truffes.
« Nous passions ensuite deux entrées, un plat de cailles à la Cambacérès et un perdreau à la Souvaroff. Arrivé là, M. [Raymond] Roussel coupait son déjeuner d’un sorbet au champagne, avant d’attaquer le rôti. » (André Guillot, La Grande Cuisine bourgeoise, 1976.)
SOUVAROFF ou SOVOROV (À LA)
S’entend de différentes recettes dédiées au maréchal Alexandre Vassilievitch Souvorov (1729-1800) et imaginées par Antonin Carême, lorsqu’il était au service de l’empereur Alexandre 1er à Saint-Pétersbourg.
Désigne en particulier un mode de préparation des volailles et du gibier à plume farcis d’un salpicon de foie gras et de truffes aromatisé au cognac et cuit en cocotte, ainsi qu’un apprêt de truffes en ramequin, avec une croûte feuilletée et une sauce Périgueux, qui se déguste avec une serviette sur la tête pour concentrer et conserver l’arôme.
« Augustus offrait aux trois amis non un lunch frugal, mais un vrai balthazar. Il y avait pour plat introductif un chaud-froid d’ortolans à la Sovaroff. » (Georges Perec, La Disparition, 1969.)