« La nature et l’histoire sont foncièrement immorales. » (Friedrich Nietzsche)

Agrégée d’histoire et docteur ès lettres, Annie Lacroix-Riz (°1947) est professeure émérite d’histoire contemporaine à l’Université Paris VII-Denis Diderot.

Parce qu’elle milite au Pôle de renaissance communiste en France (PRCF), un mouvement politique d’obédience marxiste-léniniste fondé en 2004, et parce qu’elle croit à la théorie – fumeuse, selon nous –, de l’existence d’un complot synarchique[1] en France durant l’entre-deux-guerres, ses ouvrages ont fait l’objet de critiques parfois acerbes l’accusant notamment de recourir exclusivement à des grilles de lecture et d’interprétation périmées, celles qui étaient en usage chez les communistes durant la Guerre froide.

Cette impression s’impose, hélas, à la lecture de son volumineux essai intitulé La non-épuration en France – De 1943 aux années 1950 paru chez Dunod poche, dont on regrettera le ton par trop manichéen et les lacunes surprenantes (l’épuration des intellectuels n’est pas abordée, les noms de Robert Brasillach et de Pierre Drieu la Rochelle n’apparaissent nulle part, celui d’Abel Bonnard deux fois et celui de Louis-Ferdinand Céline une seule fois, pour dire qu’il connaissait Arletty…).

Mais ne jetons ni le bébé ni toute l’eau du bain.

Car la thèse de l’auteure – thèse selon laquelle nombre de membres des élites économiques, politiques, administratives et judiciaires françaises ayant collaboré avec les nazis durant la Seconde Guerre mondiale ont échappé à la justice et se sont réinsérés facilement par la suite en conservant leurs privilèges et leur statut social – tient bien évidemment la route et l’on ne peut que s’indigner du fait que de sinistres individus comme Maurice Papon (en photo sur la couverture de son ouvrage, baisant la main de Simone Veil, rescapée des camps d’extermination) ou René Bousquet aient mené une brillante carrière sous les ors de la République, alors que, par exemple, tant de femmes ont été tondues à la Libération.

La documentation présentée par Annie Lacroix-Riz est énorme et fourmille d’informations qui ont été dissimulées sous le manteau de Noé pendant des lustres, par exemple sur les réseaux qui ont agi dans la coulisse, sur leur fonctionnement et sur certaines de leurs motivations plus ou moins inavouables.

Quant aux conclusions politiques de l’auteure, c’est une autre histoire, comme disait Rudyard Kipling…

PÉTRONE

La non-épuration en France – De 1943 aux années 1950 par Annie Lacroix-Riz, deuxième édition, Paris, Éditions Dunod poche, avril 2023 [Armand Colin 2019], 790 pp. en noir et blanc au format 11 x 17,8 cm sous couverture brochée en couleurs, 12,90 € (prix France)


[1] Le terme synarchie (ou « complot synarchique ») attribue à une société secrète française de gigantesques pouvoirs occultes. L’idée a émergé au printemps 1941 au sein du régime de Vichy quand, au début de juin, plusieurs feuilles collaborationnistes et antisémites parmi les plus frénétiques — L’Appel, Au pilori — ont accusé à grand fracas la synarchie, « la plus secrète des loges maçonniques », de saboter la révolution nationale de Vichy, les accords franco-allemands de Montoire et la politique antijuive. Des polémistes, dont le plus influent était Marcel Déat, ont repris et élargi cette « information » qui procède en réalité d’une invention des mouvements les plus réactionnaires du régime de Vichy en vue de dénoncer leurs adversaires du mouvement technocratique, au moment où ceux-ci prenaient l’ascendant au sein du gouvernement de François Darlan.

Date de publication
samedi 15 avril 2023
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