« Les Allemands sont des cons ; moi aussi. Je veux mourir avec eux. » (Pierre Drieu la Rochelle)

Pointons la publication, aux Éditions Bouquins à Paris, de Drôle de voyage et autres romans, un épais volume rassemblant six œuvres de Pierre Drieu la Rochelle (1893-1945, suicidé) – L’Homme couvert de femmes, (1925), Une Femme à sa fenêtre (1929)[1], Drôle de voyage (1933), Beloukia (1936), L’Homme à cheval (1943) et Les Chiens de paille (1943) – suivies d’un aussi savant que passionnant Dictionnaire Drieu la Rochelle rédigé par Stéphane Guégan[2], Julien Hervier[3] et Frédéric Saenen[4], éditeurs scientifiques de l’ouvrage.

Ancien combattant de la Grande Guerre blessé à trois reprises, romancier, essayiste et journaliste, proches des dadaïstes et des surréalistes dans les années 1920, grand admirateur de Louis Aragon (qu’il protégea durant l’Occupation), ami d’André Malraux et de Jean Paulhan (qu’il aida à échapper aux griffes de la Gestapo), dandy et séducteur de femmes[5], européiste, philosémite puis antisémite, socialisant puis fascisant, Pierre Drieu la Rochelle, au terme d’un parcours politique ondoyant, s’engagea finalement en faveur de la Collaboration durant l’Occupation de la France par l’Allemagne nazie.

Pierre Drieu la Rochelle en 1930.

Sans pour autant renoncer aux paradoxes : directeur, entre 1940 et 1943 – en remplacement de Jean Paulhan qui y demeura néanmoins son bras droit durant cette période – de La Nouvelle Revue Française à la demande de Gaston Gallimard, et bien que sous l’influence de l’ambassadeur du Reich à Paris Otto Abetz, Drieu la Rochelle dressa la liste des écrivains de la N.R.F. prisonniers de guerre qu’il voulait faire libérer, parmi lesquels Jean-Paul Sartre, dont il a facilité la remise en liberté.

En octobre 1941, Drieu la Rochelle participa, avec Robert Brasillach, Abel Bonnard, Ramon Fernandez, Marcel Jouhandeau et Jacques Chardonne, au voyage en Allemagne d’une délégation d’écrivains français répondant à l’invitation de Joseph Goebbels.

Retour d’Allemagne de la délégation d’écrivains dont fit partie Drieu la Rochelle, Paris-Soir, 3 novembre 1941.

Les œuvres de Drieu ont pour thèmes la décadence d’une certaine bourgeoisie, l’expérience de la séduction et l’engagement dans le siècle, tout en alternant l’illusion lyrique avec une lucidité désespérée, portée aux comportements suicidaires[6].

Ainsi, L’Homme couvert de femmes raconte une partie de campagne qui donne lieu à une méditation sur la vacuité des relations amoureuses.

Une Femme à sa fenêtre met en scène l’un des plus beaux personnages féminins de Drieu. L’auteur y combine l’exaltation de la passion et l’engagement politique.

Dans Drôle de voyage, un jeune mondain passe sans enthousiasme d’une conquête à l’autre.

La fantaisie orientale Beloukia est une véritable lettre d’amour située dans une Bagdad imaginaire.

Conçu autour de l’opposition entre l’homme d’action et l’artiste, L’Homme à cheval est un authentique roman d’aventures moderne.

Enfin, Les Chiens de paille confronte un industriel gaulliste, un garagiste communiste, un médecin collaborateur, un patriote à la tête d’un chantier de la jeunesse et un trafiquant du marché noir[7].

Des textes remarquables d’un auteur complexe, talentueux, brillant, mais aussi hésitant, désabusé et pourtant vivant dans l’illusion politique, tout en étant habité par le mal-être et hanté par le suicide…

Bernard DELCORD

Drôle de voyage et autres romans par Pierre Drieu la Rochelle, édition établie par Stéphane Guégan, Julien Hervier et Frédéric Saenen, Paris, Éditions Bouquins, février 2023, 1056 pp. en noir et blanc au format 13 x 20 cm sous couverture brochée en couleurs, 32 € (prix France)


[1] Adapté au cinéma en 1976 par Pierre Granier-Deferre avec Romy Schneider et Philippe Noiret dans les rôles principaux, sur un scénario de Jorge Semprún et Pierre Granier-Deferre.

[2] Stéphane GUÉGAN est historien et critique d’art, spécialiste du romantisme français. Créateur en 1994 de la collection des ABCdaires et chef du service culturel du Musée d’Orsay depuis avril 2004, il a été nommé conservateur au département des peintures du musée d’Orsay en 2009. Auteur de nombreux ouvrages sur Delacroix, Gauguin, Chassériau ou Ingres, auquel il a consacré plusieurs essais, il a publié, en 2012, Les Arts sous l’Occupation, véritable éphéméride qui raconte, jour après jour, la vie et les réalisations des créateurs français, toutes disciplines confondues, pendant la Seconde Guerre mondiale. (Source : Babelio)

[3] Traducteur de nombreuses œuvres d’Ernst Jünger, de Friedrich Nietzsche et de Martin Heidegger, mais aussi éditeur scientifique du journal et de la correspondance de Pierre Drieu la Rochelle, le germaniste Julien HERVIER (°1935), ancien élève de l’École normale supérieure (promotion 1957), fut chargé de cours de français à l’Université libre de Berlin en 1960 avant, à partir de 1964, d’enseigner la littérature comparée à la faculté des lettres de Poitiers, jusqu’en juin 2004 où il a pris sa retraite en tant que professeur de classe exceptionnelle. (Source : Wikipédia)

[4] Frédéric SAENEN (°1973) est un critique littéraire et un écrivain belge. Agrégé en philologie romane avec un mémoire portant sur l’œuvre de Louis-Ferdinand Céline, il est chargé d’enseignement et maître de conférences à l’Institut supérieur des langues vivantes de l’Université de Liège. Il dirige en outre la Revue Générale, la plus ancienne revue de Belgique, fondée à Bruxelles en 1865.

[5] Pierre Assouline, à la lecture des Notes pour un roman sur la sexualité de Drieu la Rochelle éditées par Julien Hervier, a écrit : « L’homme que l’on disait couvert de femmes était hanté par l’impuissance, le contact charnel, la souillure féminine, les dangers des débordements sensuels, les caresses, la fellation et une homosexualité difficilement refoulée ».

[6] Source : Wikipédia.

[7] Extrait de la quatrième de couverture.

Date de publication
lundi 13 mars 2023
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