Dans la production récente des Éditions Les Arènes à Paris, nous avons épinglé cinq BD de qualité à (s’) offrir pour les fêtes de cette fin d’année :
1. Le match de la mort – Kiev 1942, rien ne se passera comme prévu par Pepe Galvez et Guillem Escriche
1942, dans l’Ukraine occupée
Pendant la Seconde Guerre mondiale, en Ukraine, République soviétique occupée par les nazis depuis l’opération Barbarossa lancée à l’été 1941, quatre anciens joueurs du Dynamo Kiev, l’équipe nationale ukrainienne, travaillent dans la plus grande boulangerie de la ville. Elle est tenue par un Moravien proche des Allemands, mais fan du Dynamo. Un ancien footballeur, Shvetsov, passé à la collaboration, leur propose d’organiser des matchs qui opposeraient les différentes armées en présence à Kiev : allemande, roumaine, hongroise. Après de vives discussions, les anciens du Dynamo acceptent à condition de jouer sous les couleurs rouges de l’Ukraine, avec un nouveau nom, qu’ils espèrent prometteur : START.
Le foot comme champ de bataille morale
Le 6 août 1942 se déroule le match entre le START et l’équipe de l’armée allemande.
5 à 2 pour l’Ukraine. L’équipe allemande, bien mieux nourrie que les Ukrainiens, exige une revanche trois jours plus tard.
Là, sur le terrain, l’un des joueurs, Kolya, est gravement blessé à la tête par un joueur allemand. L’arbitre ne dit mot. Les Ukrainiens gagnent à nouveau.
Humiliés par les nazis et traités comme une race inférieure qu’il faut soumettre, ils regagnent leur dignité sur le terrain de foot.
Trois victoires et la mort au bout
16 août : nouveau match, nouvelle victoire. Le 18 août, l’armée allemande débarque à la boulangerie. Kolya mourra sous la torture et les trois autres sont envoyés en camp de concentration à Syrets. Le 2 février 1943, l’Allemagne est défaite à Stalingrad. Le 23 février, les trois derniers joueurs sont fusillés. En septembre 1943, les prisonniers du camp de Syrets se soulèvent. Le 6 novembre. Kiev est libérée.
2. De sel et de sang par Frédéric Paronuzzi et Vincent Djinda
Retour sur un massacre annoncé
Le 17 août 1893, dans les marais salants d’Aigues-Mortes, une rixe opposant des ouvriers français à des travailleurs temporaires italiens déclenche une véritable folie meurtrière Plusieurs heures durant, une foule en furie se lance dans une impitoyable traque. Une « chasse à l’ours » (l’ours : l’étranger). Ce lynchage, un des plus sanglants de l’histoire française, fera dix morts et une centaine de blessés. En dépit des preuves accablantes réunies contre eux, les assassins seront finalement acquittés lors d’un simulacre de procès qui conduira la France â deux doigts d’une guerre avec l’Italie.
Une tragédie du travail
On assiste à la fourberie des riches patrons de la Compagnie des Salins du Midi qui n’ont pas hésité à exacerber la rivalité entre ouvriers en profitant du fait que les Transalpins étaient moins exigeants sur la paie et les conditions de travail.
Une histoire qui résonne avec notre époque
Les auteurs de De sel et de sang s’emparent librement de ces faits réels (qui ont une troublante résonance avec le monde d’aujourd’hui) et racontent ces moments de démence, qu’un journaliste du Journal du Midi a décrits comme « indignes d’un peuple civilisé » (édition du 18 août 1893). On y découvre comment les discours nationalistes et cocardiers, les fantasmes xénophobes et la vieille rengaine « fiers d’être français » ont incité des laissés-pour-compte à se déchaîner contre leurs frères de misère avec une effrayante sauvagerie.
3. Kessel – La naissance du lion par Cyrille Charpentier et Jörg Mailliet
Vladivostok, le voyage initiatique
Juif d’origine russe, Kessel s’engage à 18 ans dans l’aviation française pour combattre l’armée allemande. En 1918, il part en mission à Vladivostok pour former l’armée blanche. Cette première aventure créera la légende Kessel.
Dans le froid sibérien, il croise la Légion tchèque, des bandits cosaques, la mafia chinoise esclavagiste, le frisson du danger… mais aussi de nombreuses bouteilles de vodka, la musique tzigane et l’amour De cette expérience, il tirera l’un de ses romans les plus forts : Les Temps sauvages. Un voyage initiatique où la guerre est un personnage à part entière. Ce récit hallucinant est à l’image de la vie de Joseph Kessel.
Il faudrait plusieurs vies à un homme pour avoir celle de Kessel
De retour à Pans en 1922, il entame une carrière d’écrivain et de journaliste. Il cofonde le journal Gringoire, publie son premier roman et devient grand reporter.
Joseph Kessel arpente le Maghreb où il découvre l’Aéropostale. Il rencontre Antoine de Saint-Exupéry et part en Afrique de l’Est, sur la piste aux esclaves où il se lie d’amitié avec Henry de Monfreid. La presse s’arrache ses reportages. Entre deux expéditions, Joseph Kessel côtoie aussi bien les immigrés russes que le milieu littéraire de son époque : Radiguet. Cocteau, Martin du Gard…
Une œuvre incomparable
Kessel a laissé une trace immense dans l’histoire avec Le Lion, L’Équipage, Fortune carrée, L’Armée des ombres… Il participa aussi à la création de Détective tout en étant proche de Gaston Gallimard. Il a coécrit « Le Chant des partisans » avec son neveu Maurice Druon. Lui, l’immigré juif d’origine russe, entrera même à l’Académie française.
4. Les Portugais par Olivier Afonso et Chico
Le destin d’un million de vies
Dans les années 1970, la France vit sa plus importante vague d’immigration. Plus d’un million de Portugais fuient la dictature de Salazar et ses guerres coloniales. Rapidement, on leur assigne à tous un même emploi : maçon. C’est une nouvelle main-d’œuvre bienvenue dans la France de Giscard. Très vite, ils sont embauchés sur les chantiers parisiens et logés dans un bidonville à Nanterre avec un seul désir : construire leur vie.
Deux amis traversent la France
Mano a 18 ans et passe la frontière franco-espagnole dans le coffre d’une vieille Peugeot. Lâché en pleine nature par son passeur, il est embarqué par Nel, jeune compatriote roublard et ambitieux, dans une aventure qui les mènera à Paris. Sur place, leur vie s’organise entre travail, sorties, combines et drague. Une véritable amitié se noue malgré les choix de chacun Mario, discret et travailleur, tombe secrètement amoureux d’Eva. Nel, gentil voyou charismatique, préfère les chemins illégaux.
Un récit intime et collectif
Cette histoire, Olivier Alonso, le scénariste, la tient de son père. Mais il comprend rapidement qu’elle est aussi celle de toute une génération : celle qui, derrière un ton badin et une dérision insolente, cache la réalité douloureuse d’une main-d’œuvre immigrée exploitée.
5. Après la rafle – Une histoire vraie par Arnaud Delalande et Laurent Bidot avec Joseph Weismann
Un gamin de Paris
Joseph est un gamin de Montmartre qui fait les 400 coups avec ses copains dans la capitale occupée. Juif, il porte l’étoile jaune. Au matin du 16 juillet 1942, des gendarmes français l’arrêtent avec sa famille. C’est la rafle du Vél’ d’Hiv’. Chargés dans des wagons à bestiaux, ils prennent la route pour Beaune-la-Rolande, un camp de transit. Un matin, deux officiers nazis arrivent. Jo est arraché à ses parents et à ses deux sœurs qui partent pour le camp d’Auschwitz.
Au camp de Beaune-la-Rolande
Une autre guerre commence alors : celle d’un enfant de 11 ans, seul, perdu dans un camp d’orphelins. Joseph est jeune, mais il sent et comprend tout. Avec un autre enfant, Jo Kogan, il monte un plan d’évasion. Ils se glissent sous quinze mètres de barbelés qu’ils « détricotent » â mains nues durant six heures d’affilée : ils réussissent à s’enfuir tandis que leurs compagnons seront envoyés à la mort.
La force d’un survivant
À 90 ans, Joseph raconte comment, après avoir surmonté mille dangers, fréquenté orphelinats et familles d’accueil, il veut changer de nom et « s’appeler Dupont, comme tout le monde ». Puis il devient « vindicatif, bagarreur » : « J’étais un pantin démantibulé qui devait se reconstruire ». Il finit par se fixer au Mans, où il reprend avec succès une affaire de meubles et fonde une famille heureuse. Quelques années plus tard, avec son complice Jo Kogan, ils décident de retourner à Beaune-la-Rolande…
Témoigner, enfin
Joseph s’est longtemps refusé à raconter son histoire. C’est Simone Veil qui l’a convaincu du devoir de mémoire. Depuis, Jo Weismann parcourt inlassablement les lycées français. Il participe à des conférences, des colloques, des débats.
Il a contribué au film La Rafle et à des documentaires. Il a publié le récit de sa vie aux éditions Michel Lafon en 2011. Sa guerre ne s’est jamais vraiment achevée[1].
PÉTRONE
Le match de la mort – Kiev 1942, rien ne se passera comme prévu par Pepe Galvez et Guillem Escriche, traduction de l’espagnol par Alexandra Carrasco, Paris, Éditions Les Arènes, octobre 2022, 96 pp. en quadrichromie au format 21,5 x 29 cm sous couverture cartonnée en couleurs, 20 € (prix France)
De sel et de sang par Frédéric Paronuzzi et Vincent Djinda, Paris, Éditions Les Arènes, mai 2022, 143 pp. en quadrichromie au format 19 x 26 cm sous couverture cartonnée en couleurs, 22 € (prix France)
Kessel – La naissance du lion par Cyrille Charpentier et Jörg Mailliet, Paris, Éditions Les Arènes, avril 2022, 207 pp. en quadrichromie au format 21 x 29 cm sous couverture cartonnée en couleurs, 23,90 € (prix France)
Les Portugais par Olivier Afonso et Chico, Paris, Éditions Les Arènes, février 2022, 136 pp. en quadrichromie au format 19,3 x 27,5 cm sous couverture cartonnée en couleurs, 21,90 € (prix France)
Après la rafle – Une histoire vraie par Arnaud Delalande et Laurent Bidot avec Joseph Weismann, Paris, Éditions Les Arènes, janvier 2022, 124 pp. en quadrichromie au format 19,3 x 27,5 cm sous couverture cartonnée en couleurs, 21 € (prix France)
[1] Sources : communiqués de presse des Éditions Les Arènes.