Auteur de 10 romans parus chez Grasset, dont 8 ont recueilli des prix prestigieux[1] et le dixième en remportera à l’évidence lui aussi de nombreux, l’écrivain français Sorj Chalandon (°Tunis, 1952) est aussi un journaliste de grande envergure[2].
Récurrent dans son œuvre (Mon traître, La Légende de nos pères, Retour à Killybegs, Profession du Père), le thème de la trahison est une nouvelle fois abordé dans Enfant de salaud, son dixième opus, avec une vigueur stylistique remarquable, un déroulé impeccable et une sensibilité à fleur de peau.
Le thème ?
La mise à bas de la vantardise et des mensonges du père de Sorj Chalandon, un homme violent et fantasque qui excipait de hauts faits de résistance sous l’occupation allemande durant la Seconde Guerre mondiale, alors qu’il avait en réalité collaboré avec les nazis…
Pitch :
« Longtemps, il a bercé son fils de ses exploits de résistant, jusqu’au jour où le grand-père de l’enfant s’est emporté : « Ton père portait l’uniforme allemand. Tu es un enfant de salaud ! »
En mai 1987, alors que s’ouvre à Lyon le procès du criminel nazi Klaus Barbie, le fils apprend que le dossier judiciaire de son père sommeille aux archives départementales du Nord.
Trois ans de la vie d’un « collabo », racontée par les procès-verbaux de police, les interrogatoires de justice, son procès et sa condamnation. Le narrateur croyait tomber sur la piteuse histoire d’un Lacombe Lucien[3], mais il se retrouve face à l’épopée d’un Zelig[4]. L’aventure rocambolesque d’un gamin de 18 ans, sans instruction ni conviction, menteur, faussaire et manipulateur, qui a traversé la guerre comme on joue au petit soldat.
Un sale gosse, inconscient du danger, qui a porté cinq uniformes en quatre ans. Quatre fois déserteur de quatre armées différentes. Traître un jour, portant le brassard à croix gammée, puis patriote le lendemain, arborant fièrement la croix de Lorraine.
En décembre 1944, recherché par tous les camps, il a continué de berner la terre entière. Mais aussi son propre fils, devenu journaliste. Lorsque Klaus Barbie entre dans le box, ce fils est assis dans les rangs de la presse et son père, attentif, au milieu du public.
Ce n’est pas un procès qui vient de s’ouvrir, mais deux. Barbie va devoir répondre de ses crimes. Le père va devoir s’expliquer sur ses mensonges.
Ce roman raconte ces guerres en parallèle. L’une rapportée par le journaliste, l’autre débusquée par l’enfant de salaud. »
L’enfant, aussi, d’un homme qui sa vie durant apporta un démenti cinglant à la phrase célèbre de Théophile de Viau…
Un texte formidable !
PÉTRONE
Enfant de salaud par Sorj Chalandon, Paris, Éditions Bernard Grasset, août 2021, 333 pp. en noir et blanc au format 14 x 20,5 cm sous couverture brochée en couleurs, 20,90 € (prix France)
[1] Le Petit Bonzi,, 2005, prix du premier roman de l’université d’Artois, Une promesse, 2006, prix Médicis, Mon traître, 2008, prix Jean-Freustié, prix Joseph-Kessel, prix Marguerite Puhl-Demange, prix Simenon, prix Gabrielle-d’Estrées, prix Lettres Frontière, La Légende de nos pères, 2009, prix Ouest du Printemps du Livre, 2010, prix Biennale du Livre d’Histoire 2010, Retour à Killybegs, 2011, Grand prix du roman de l’Académie française, Le Quatrième Mur, 2013, prix Goncourt des lycéens, prix des lecteurs Escale du livre 2014 à Bordeaux, prix des Écrivains croyants 2014, prix des libraires du Québec 2014, Profession du père, 2015, prix du Style, Le Jour d’avant, 2017, prix Libraires en Seine 2018, Une joie féroce, 2019.
[2] Il a participé à la création du quotidien français Libération, dont il fut journaliste de 1973 à février 2007 en qualité de grand reporter, puis de rédacteur en chef adjoint, et dans les colonnes duquel il publia des reportages sur l’Irlande du Nord et le procès de Klaus Barbie qui lui valurent le prix Albert-Londres en 1988. Il est aujourd’hui membre de la rédaction du Canard enchaîné.
[3] Lacombe Lucien est un film réalisé par Louis Malle (1974), qui suscita une grande polémique.
[4] Zelig est un « documenteur » américain de Woody Allen sorti en 1983.