Émile Mâle (1862-1954), membre de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres de France (en 1918), et de l’Institut, de l’Académie royale des sciences, des lettres et des beaux-arts de Belgique (en 1922), de l’Académie française (élu en 1927) et de la British Academy, fut professeur à la Sorbonne (dès 1906), ainsi que directeur de l’École française de Rome (1923-1937).
En 1899, il soutint ses thèses de doctorat à la Sorbonne – thèse latine : Quomodo Sybillas recentiores artifices repraesentaverint ; thèse française : L’Art religieux du XIIIe siècle en France –, cette dernière ayant connu une pérennité remarquable, puisque les Éditions Klincksieck à Paris ressortent ces jours-ci le texte de sa 8e version, parue en 1948 chez Armand Colin, régulièrement réimprimée depuis lors.
Présentations :
« La parution de L’Art religieux du XIIIe siècle en France, en 1899, a constitué un tournant décisif à la fois dans l’histoire de l’art et dans les études médiévales. Émile Mâle y proposait en effet une méthode alors très nouvelle, fondée sur la mise en relation du langage des formes avec leurs sources d’inspiration. Partant de l’idée que le christianisme du Moyen Âge a conçu l’art comme une “prédication muette”, c’est-à-dire comme une traduction des vérités de la foi, il entreprend de mettre systématiquement en rapport l’iconographie et les grands textes (scripturaires, exégétiques, théologiques, hagiographiques, etc.) qui lui ont servi de programme.
Émile Mâle construit lui-même son ouvrage sur un modèle médiéval, le Speculum Majus de Vincent de Beauvais († 1264), sorte d’encyclopédie du savoir de l’époque commandée par saint Louis. Il en reprend la division en quatre « Miroirs » (Miroirs de la nature, de la science, de l’histoire, de la morale), confrontant leurs thématiques avec les sculptures de Chartres ou d’Amiens, les vitraux de Bourges ou du Mans, ou encore les livres enluminés. Écrit avec talent, fourmillant d’informations, l’ouvrage constitue une magnifique synthèse de l’art du XIIIe siècle en France. »[1]
« Émile Mâle appartient à ces grands historiens qui ont compris l’art comme une épopée humaine. Pendant dix ans il est allé à la rencontre de l’art comme l’explorateur part à la recherche de nouveaux sites. Il a arpenté la province française, les églises, les couvents, puisé dans le contact direct avec les œuvres pour nous offrir une vision synthétique des images médiévales dans une somme demeurée inégalée.
L’art du XIIe siècle apparaît comme un art monastique, où la miniature a joué un grand rôle. Mais la liturgie, le culte des saints, les pèlerinages, la lutte contre les hérésies, la science et le rêve du moine ont laissé leurs empreintes sur l’iconographie. Le fond est resté oriental, mais s’est enrichi de créations nouvelles. Dès qu’il se crée, l’art du Moyen Âge se montre façonné par la pensée, et on voit s’ébaucher ici la savante iconographie du siècle suivant, naître une étonnante sculpture monumentale, se préparer les grands ensembles du XIIIe siècle. »[2]
Émile Mâle vers 1928.
« La méthode d’Émile Mâle rompt avec l’approche purement esthétique et stylistique de l’œuvre d’art qui prévalait de son temps. Elle est fondée sur la certitude qu’au-delà des apparences visibles, celle-ci a été conçue pour manifester une pensée dont seule l’analyse iconographique peut nous donner la clé. Loin de se cantonner dans l’identification et la description des personnages, des récits ou des mythes figurés, Mâle cherche en effet à déchiffrer des représentations qui se voulaient didactiques mais qui, au cours des temps, étaient devenues des énigmes. À travers l’étude des formes et des symboles, cette démarche historique lui a permis de remonter au sens contenu dans les images et jusqu’à l’âme des hommes du Moyen Âge dont elles expriment les aspirations et les pensées les plus profondes. »[3]
Cette réédition est précédée d’un savant avant-propos de l’historien d’art Roland Recht (°1941), professeur d’université (Dijon, Strasbourg), ancien directeur des musées de Strasbourg (1986-1993), professeur au Collège de France (en 2001) et membre de l’Institut de France (en 2003).
Une Somme théologique qui eût ébloui Thomas d’Aquin !
PÉTRONE
L’Art religieux du XIIIe siècle en France – Étude sur les origines de l’iconographie du Moyen Âge et sur ses sources d’inspiration par Émile Mâle, avant-propos de Roland Recht, Paris, Éditions Klincksieck, collection « Les mondes de l’art », juin 2021, 702 pp. en noir et blanc + un cahier photos de 32 pp en quadrichromie au format 13,5 x 20 cm sous couverture brochée en couleurs, 29,50 € (prix France)
TABLE DES MATIÈRES
AVANT-PROPOS
PRÉFACE
INTRODUCTION
Chapitre I. — Les caractères généraux de l’iconographie du Moyen Âge
I. L’iconographie du Moyen Âge est une écriture
II. Elle est une arithmétique. Les nombres mystiques
III. Elle est une symbolique. – L’Art et la Liturgie
Chapitre II. — Méthode à suivre dans l’étude de l’iconographie du Moyen Âge. Les miroirs de Vincent de Beauvais
LIVRE PREMIER. LE MIROIR DE LA NATURE
I. Le monde fut conçu par le Moyen Âge comme un symbole. — Origines de cette conception. La « Clef » de Méliton. — Les Bestiaires
II. Les animaux représentés dans la cathédrale ont parfois un sens symbolique. — Les quatre animaux évangéliques. — Le vitrail de Lyon ; la frise de Strasbourg. — Influence d’Honorius d’Autun ; rôle des Bestiaires
III. Exagérations de l’école symbolique. — Il ne faut pas chercher partout des symboles. La faune et la flore dans l’art du XIIIe siècle. — Les gargouilles ; les monstres
LIVRE II. LE MIROIR DE LA SCIENCE
I. Le travail et la science ont leur rôle dans l’œuvre de la Rédemption. — Le travail manuel. — Représentation des travaux de chaque mois ; calendriers illustrés
II. La Science ; le trivium et le quadrivium. — Les sept Arts dans le livre de Martianus Capella. — Influence du livre de Martianus Capella sur la littérature du Moyen Âge et sur l’art
III. Représentations figurées de la Philosophie. — Influence de Boèce
IV. Conclusion. — La destinée humaine. — La route de Fortune
LIVRE III. LE MIROIR MORAL
I. Représentations des Vices et des Vertus dans l’art du Moyen Âge. — La Psychomachie de Prudence et son influence
II. La représentation des Vices et des Vertus affecte des formes nouvelles au XIIIe siècle. Les douze Vertus et les douze Vices à Notre-Dame de Paris, à Chartres, à Amiens
III. La vie active et la vie contemplative : statues de Chartres
LIVRE IV. LE MIROIR HISTORIQUE
Chapitre premier. L’Ancien Testament
I. L’Ancien Testament considéré comme une figure du Nouveau. – Origines de l’interprétation symbolique de la Bible. – Les Pères d’Alexandrie. – Saint Hilaire. – Saint Ambroise. – Saint Augustin. – Le Moyen Âge. – La Glose ordinaire
II. Les figures de l’Ancien Testament dans l’art du Moyen Âge. – Figures se rapportant à Jésus-Christ. – Vitraux symboliques de Bourges, de Chartres, du Mans, de Tours
III. Figures de l’Ancien Testament se rapportant à la Vierge. – Le portail de Laon. – Influence d’Honorius d’Autun
IV. Les patriarches et les rois. – Leur rôle symbolique
V. Les Prophètes. – Efforts de l’art du Moyen Âge pour représenter les prophéties
VI. L’arbre de Jessé. – Les rois de Juda à la façade de Notre-Dame de Paris, d’Amiens, de Chartres
VII. La procession des prophètes
VIII. Résumé. – Les médaillons symboliques des vitraux de Suger à Saint-Denis. – Les statues du portail nord de Chartres
Chapitre II. Les Évangiles
I. Toutes les scènes de la vie de Jésus-Christ n’ont pas été représentées au Moyen Âge. Pourquoi ? – Les artistes ne représentent que le cycle des fêtes. – Influence de la Liturgie. – Cycle de Noël et cycle de Pâques
II. Interprétations symboliques du Nouveau Testament. – Représentations symboliques de la naissance de Jésus-Christ. – De la Crucifixion. – Des deux Adam. – De la Résurrection. – Des noces de Cana
III. Les paraboles. – Paraboles des Vierges sages et du Bon Samaritain. – Leur signification symbolique. – Les paraboles du Mauvais Riche et de l’Enfant Prodigue
Chapitre III. Les traditions légendaires sur l’Ancien et le Nouveau Testament
I. Traditions apocryphes relatives à l’Ancien Testament. – La mort de Caïn
II. Traditions apocryphes relatives au Nouveau Testament. – Évangile de l’Enfance. – Évangile de Nicodème
III. Traits apocryphes se rapportant à l’Enfance de Jésus-Christ. – Le bœuf et l’âne. – Les sages-femmes. – Les Mages et leur voyage. – Miracles de Jésus enfant en Égypte
IV. Traits apocryphes se rapportant à la vie publique de Jésus. – Les Noces de Cana
V. Traits apocryphes se rapportant à la Passion et à la Résurrection de Jésus-Christ. – Légendes sur la croix. – La Descente aux Limbes. – Les apparitions
VI. Certains détails traditionnels qui se remarquent dans les œuvres d’art viennent-ils des livres apocryphes ? – Les traditions d’atelier. – Y eut-il au XIIIe siècle un Guide de la Peinture ?
VII. Traditions apocryphes relatives à la Vierge. – Le culte de la Vierge au XIIIe siècle. – La Naissance de la Vierge. – Sainte Anne et saint Joachim. – Le mariage de la Vierge. – Détails d’origine apocryphe dans la scène de l’Annonciation. – Mort, Funérailles et Couronnement de la Vierge
VIII. Les Miracles de la Vierge. – L’histoire de Théophile. – Le De gloria martyrum de Grégoire de Tours. Explication de plusieurs vitraux du Mans
Chapitre IV. — Les saints et la Légende dorée
I. Les saints. – Place qu’ils tiennent dans la vie des hommes du Moyen Âge
II. La Légende dorée. – Son caractère. – Son charme
III. Comment les artistes interprétèrent la Légende dorée. – Effort pour exprimer la sainteté
IV. Les caractéristiques des saints. – Emblèmes, attributs. – Réaction de l’art sur la Légende
V. Les caractéristiques des saints et les corporations ouvrières. – Les saints patrons
VI. Quels saints le Moyen Âge a-t-il représentés de préférence ? – Les Apôtres. – Leur histoire apocryphe, le pseudo-Abdias. – Attributs des Apôtres
VII. Les saints locaux
VIII. Les saints adoptés par la chrétienté tout entière
IX. Influence des reliques sur le choix des saints
X. Saints choisis par les donateurs. – Les corporations
XI. Influence des pèlerinages sur le choix des saints. – Saint Jacques, saint Nicolas, saint Martin
Chapitre V. — L’Antiquité – L’Histoire profane
I. L’Antiquité. – Les grands hommes de l’Antiquité rarement représentés dans la cathédrale. – Aristote et Campaspe. – Virgile dans sa corbeille. – L’Antiquité tout entière symbolisée par la Sibylle. – Le XIIIe siècle n’a représenté que la Sibylle Érythrée. – Pourquoi ?
II. Les mythes antiques interprétés symboliquement. – Ovide moralisé
III. L’histoire de France. – Les rois de France. – Leurs images sont moins fréquentes qu’on ne pensait. – Erreur de Montfaucon.
IV. Les grandes scènes de l’histoire de France. – Le baptême de Clovis. – L’histoire de Charlemagne (vitrail de Chartres). – Les Croisades. – La vie de saint Louis
Chapitre VI. — La fin de l’histoire – L’Apocalypse – Le Jugement dernier
I. L’Apocalypse. – Comment les artistes s’en inspirent. – L’Apocalypse espagnole et l’Apocalypse anglo-normande. – Influence de cette dernière
II. Le Jugement dernier. – Les Sources. – Importance de l’Elucidarium d’Honorius d’Autun. – Les signes précurseurs. – L’Apparition de Jésus-Christ. – La Résurrection des morts. – Le Jugement. – Saint Michel et sa balance. – L’Enfer. – La gueule de Léviathan. – Les élus
III. L’éternité bienheureuse. – Les Béatitudes de l’âme. – Les Béatitudes du portail nord de Chartres représentées d’après saint Anselme. – Fin de l’histoire
CONCLUSION
I. Physionomie de chacune de nos grandes cathédrales
II. L’ordonnance des sujets a été réglée par le clergé. – Les artistes sont les interprètes dociles de la pensée de l’Église. – Erreur de Viollet-le-Duc. – Les artistes laïques ne sont pas des révoltés.
III. La cathédrale, œuvre de foi et d’amour
APPENDICE
Liste des principales œuvres consacrées à la vie de Jésus-Christ
Index bibliographique
Index des œuvres d’art citées dans cet ouvrage
Table des illustrations
[1] Quatrième de couverture.
[2] Site des Éditions Armand Colin.
[3] Émile Mâle (FranceArchives)