Spécialiste du XIXe siècle, Marie-Christine Natta a établi plusieurs éditions critiques de textes de Barbey d’Aurevilly, Balzac, Dumas et Baudelaire. Elle est également l’auteure de La Grandeur sans convictions. Essai sur le dandysme (Éditions du Félin, 1991), La Mode (Economica, 1996) et Le Temps des mousquetaires (Éditions du Félin, 2005). Elle a par ailleurs publié une biographie d’Eugène Delacroix (Tallandier, 2010).
Son magnum opus (plus de 1000 pages divisées en 45 chapitres !), paru chez Perrin en 2017, puis dans la collection de poche « Tempus » en 2018, est consacré à Charles Baudelaire, né à Paris le 9 avril 1821 et mort dans la même ville le 31 août 1867, un essai dont nous ne pourrions trop recommander la lecture pour commémorer le centenaire de la naissance du poète « maudit ».
« “Dante d’une époque déchue”, selon le mot de Barbey d’Aurevilly, “tourné vers le classicisme, nourri de romantisme”, à la croisée entre le Parnasse et le symbolisme, chantre de la « modernité », il occupe une place considérable parmi les poètes français pour un recueil certes bref, mais qu’il aura façonné sa vie durant : Les Fleurs du mal.
Au cœur des débats sur la fonction de la littérature de son époque, Baudelaire détache la poésie de la morale, la proclame tout entière destinée au Beau et non à la Vérité. Comme le suggère le titre de son recueil, il a tenté de tisser des liens entre le mal et la beauté, le bonheur fugitif et l’idéal inaccessible (À une Passante), la violence et la volupté (Une martyre), mais aussi entre le poète et son lecteur (“Hypocrite lecteur, mon semblable, mon frère”) et même entre les artistes à travers les âges (Les Phares). Outre des poèmes graves (Semper Eadem) ou scandaleux (Delphine et Hippolyte), il a exprimé la mélancolie (Mœsta et errabunda), l’horreur (Une charogne) et l’envie d’ailleurs (L’Invitation au voyage) à travers l’exotisme. »[1]
Exilé à Bruxelles, il exprima son dépit dans Amœnitates Belgicæ (« Les charmes de la Belgique »), un pamphlet inachevé commencé en juin 1864, dans lequel Baudelaire critique la Belgique, où il s’était installé avec de nombreux espoirs.
Un recueil bien peu amène, on en conviendra à la lecture de cet extrait consacré aux « jolies femmes » du plat pays :
Venus Belga
Ces mollets sur ces pieds montés,
Qui vont sous ces cottes peu blanches,
Ressemblent à des troncs plantés
Dans des planches.
Les seins des moindres femmelettes,
Ici, pèsent plusieurs quintaux,
Et leurs membres sont des poteaux
Qui donnent le goût des squelettes.
Il ne me suffit pas qu’un sein soit gros et doux :
Il le faut un peu ferme, ou je tourne casaque.
Car, sacré nom de Dieu ! je ne suis pas Cosaque
Pour me soûler avec du suif et du saindoux.
Cependant, dans son essai imposant, Marie-Christine Natta ne plonge pas dans le marigot des controverses historiographiques et des interprétations littéraires ou psychologiques concernant Baudelaire.
Pour elle, seuls les faits comptent.
Il est bien connu que Charles Baudelaire était un immense poète romantique, dont la vie personnelle fut aussi dissolue que le génie artistique fut immense.
Mais dans cet ouvrage, on découvrira aussi, grâce à de nombreux documents et sources de valeur, un nouveau personnage : l’auteure revient sur le dandysme du poète, sur la réelle place qu’occupait la drogue dans sa vie ou encore sur la puissance de son talent, bien loin de se réduire aux Fleurs du mal.
Car Charles Baudelaire n’est pas réductible au spleen et à la beauté désespérée des Fleurs du mal.
Marie-Christine Natta restitue ici avec brio l’existence du poète, du traducteur (d’Edgar Poe), du critique littéraire et du critique d’art, mettant en évidence les contradictions déchirantes de celui qui n’est jamais bien là où il est, qui célèbre les vertus du travail et maudit sa fainéantise, qui rêve d’ordre et de luxe, mais mène une vie de « chien mouillé ».
Un récit de vie magistral qui a reçu en 2018 le prix de la biographie décerné par le magazine Le Point.
PÉTRONE
Baudelaire par Marie-Christine Natta, Paris, Éditions Perrin, collection « Tempus », août 2019, 1039 pp. en noir et blanc au format 13 x 18,5 cm sous couverture brochée en couleurs, 16 € (prix France)
TABLE
Introduction
1. Mère et pères
François Baudelaire
Caroline Dufaÿs
Le petit Charles
Jacques Aupick
2. Au collège de Lyon
Sur la route
Qu’on s’ennuie au collège, surtout au collège de Lyon
Élève irrégulier
Le mutin conservateur
3. Paris, Louis-le-Grand
Le cheval de concours rétif
Le fils aimant
4. La fêlure
Expulsion de Louis-le-Grand
Histoire du baccalauréat
Charles dans tout son laid
5. Vie libre à Paris
Premières liaisons littéraires
Sara
L’ultra-fashionable
Retour à l’ordre
6. Sur les mers du Sud
Quitter le pavé glissant de Paris
La longue promenade
Le voyage légendaire
7. Retour de l’enfant prodigue
Émancipation
Installation
Beau-père et beau-fils : l’impossible conciliation
17, quai d’Anjou. Hôtel Pimodan
Jeanne
Le conseil judiciaire
8. Nouvelles rencontres
À l’école des peintres
Au jardin du Luxembourg : Théodore de Banville
9. Premières voies littéraires
Vers
Idéolus : premier essai dramatique
Au café Tabourey
Les Mystères galants
10. Baudelaire-Dufaÿs entre en scène
La bohème dorée
Salon de 1845
« Je me tue »
Le poète masqué
11. Fantaisies
La reine Pomaré
Du haschisch à l’horizon
12. Le journaliste
Le petit crétin du Corsaire-Satan
Le critique d’art du Corsaire-Satan
À L’Esprit public et au Tintamarre
13. Le Salon de 1846
Aux bourgeois
Critique passionnée
Les haines : Ary Scheffer et Horace Vernet
Delacroix, « mon sujet le plus cher et le plus sympathique »
L’habit noir, la pelure du héros moderne
Accueil du Salon de 1846
La rencontre avec Delacroix
14. Scènes de la vie de bohème
La Fanfarlo
Le bohémien
Dénuement
15. Le socialiste
Le dandy révolutionnaire
Baudelaire dans la mêlée
La stratégie du général Aupick
Le Salut public
Entre deux feux
Été 1848 : l’odeur de la poudre
16. Le droit de se contredire et le courage de dire
À Châteauroux, chez les conservateurs
À Dijon, chez les rouges
Les Fleurs dans Les Limbes
La morale de l’art
17. À mesure que l’homme avance dans la vie
Auguste Poulet-Malassis
De l’ambassade de Constantinople à Paris
Le coup d’État
18. Beaux rêves et tourments
Chardons nouveaux dans le champ de la presse
Rupture avec Jeanne
Conflits familiaux
19. Aventures dramatiques
La tentation du théâtre
Marie Daubrun
Jeanne revient et Jeanne repart
20. De Maistre et Edgar Poe m’ont appris à raisonner
Joseph de Maistre, un voyant
Edgar Allan Poe, une commotion singulière
21. Le traducteur et le poète
Le frère américain
Le revers d’une passion
22. Barbey d’Aurevilly, le vieux mauvais sujet
Le plaisir d’étonner
Deux dandys
L’enjeu Edgar Poe
Les limites d’une amitié
23. Variétés littéraires
Philoxène Boyer, l’infâme petit lyrique
Bohème parlante, vineuse et chantante
Retour à la critique d’art
Esthétiques nouvelles : la caricature et le joujou
24. La Muse et la Madone
D’Aglaé-Joséphine à Apollonie
Les dimanches de la rue Frochot
L’adorateur
25. Les Fleurs du Mal, « un ouvrage auquel je veux mettre du soin »
Fleurs tardives
À la Revue des Deux Mondes
Un titre pétard
La petite note bizarre et paternelle
Une « poésie de charnier et d’abattoir »
De Michel Lévy à Auguste Poulet-Malassis
Les procédés expectants
L’œil typographique
« Impossible de marcher avec Baudelaire »
Mort du général Aupick
26. Les Fleurs du Mal, un ouvrage à défendre
« On n’édite pas un livre dans une armoire »
Premières attaques
« Je me moque de tous ces imbéciles »
« Cachez bien toute l’édition »
Contre-attaque
« J’ai les épaules solides »
L’irrésolution de Baudelaire
« Il me manque une femme »
27. Les Fleurs du Mal, un ouvrage en procès
Forces contraires
L’audience
La sentence
Le combat continue
« Te voilà femme maintenant »
28. « Ai-je besoin d’un déplacement ? »
Chasser le spleen
Thomas De Quincey, « un auteur magnifique »
Se délivrer des dettes
L’hostilité de Louis Émon
Au pied du mur
29. Un voyage imaginaire
« Ancelle est un misérable »
Réconciliation convenable
Nouveaux embarras d’argent
Reconnaissance aux hommes illustres
30. Honfleur : le domicile au bord de la mer
Ultimes préparatifs
La méthode Baudelaire expliquée à Calonne
« L’esprit » de Poulet-Malassis
À bon port
Calonne en mauvaise posture
Poulet-Malassis en prison
Babou contre Sainte-Beuve
« La faconde m’est revenue »
31. Honfleur, le domicile impossible
Intermède parisien
Des Fleurs à tout casser
Hugo, le poète dont les œuvres m’ont tant appris
Gautier, l’écrivain par excellence
La haine du domicile
32. Le Salon de 1859
L’art pur
La photographie n’est pas un art
La sculpture n’est plus ennuyeuse
Boudin, le pastelliste. Méryon, l’aquafortiste
Delacroix, le surnaturaliste
33. Retour à Paris
Les tribulations d’argent
« Vous pouvez compter sur mon dévouement »
Le Marquis du Ier houzards
Marie Daubrun, l’autre madone
34. La canaille littéraire
Alphonse de Calonne, l’ultra-rédacteur en chef
Carlos Derode, la canaille de Genève
Eugène Crépet, le républicain bourgeois
35. Paradis et outrages
Les Paradis artificiels, un livre achevé
Les soucis d’un imprimeur
Morale et toxicologie
Alphonse paralysé
« La Chanson de Hiawatha »
Chez Jeanne, un frère tombé de la lune
36. Nouvelles Fleurs et nouvelle prose
Le coup d’État de Poulet-Malassis
Rassembler les morceaux égarés
Préfaces et épilogue
Le frontispice
« Je vous embêterai jusqu’au bout »
Faveurs et défaveurs
Le Spleen de Paris
37. Arts modernes
Constantin Guys, peintre de mœurs
Manet, le premier dans la décrépitude de son art
Richard Wagner, quelque chose de nouveau
38. L’honneur d’un homme de lettres
En jeune compagnie
En quête de respectabilité
Campagne académique
Un candidat exceptionnel
39. L’horreur de la vie
Agonies financières
« Aucune de mes infirmités ne m’a quitté »
Cœur à nu
Crise morale
Le conseil judiciaire, maudite invention maternelle
Ouvrir toute mon âme
40. En lutte
La faillite de Poulet-Malassis
Les failles de Baudelaire
Prendre un grand parti
Le travail, l’unique manière de moins souffrir de la vie
41. Paris-Bruxelles
« Je suis las de la France »
L’anniversaire de Shakespeare
À Bruxelles
Baudelaire conférencier
Les éditions Lacroix et Verboeckhoven
Les riches galeries particulières du pays
42. Pauvre Belgique
Rien ne va plus
Le bon haïsseur
« Que faites-vous à Bruxelles ? »
Voyage d’affaires, voyage éclair
43. Une réputation à défendre
L’affaire Garnier-Lemer et Cie
« Il paraît que l’école Baudelaire existe »
Sociétés belges
Le clan Hugo
Félicien Rops
Les Épaves
La haute morale des Liaisons dangereuses
44. Bruxelles-Paris
« Je ne suis pas solide »
Attaque et redoublement d’attaque
Touché
En route pour Paris
45. L’ultime voyage
Chez le docteur Duval
Derniers projets
« C’est fini »
L’héritage
Notes
Bibliographie
Index
[1] Charles Baudelaire — Wikipédia (wikipedia.org)