S’étant d’abord attachées à remettre en lumière des ouvrages oubliés rédigés par des auteures belges (comme Nu-tête d’Anne François et Mantoue est trop loin de Madeleine Bourdouxhe[1] que nous avons recensées naguère, les Éditions Névrosée à Bruxelles élargissent désormais et avec bonheur leur champ d’action à des œuvres sous-exposées d’écrivains majeurs de nos contrées, parmi lesquelles Lord John[2] par Jean-Baptiste Baronian et Jeu de rôles[3] par Jean Muno.
Jean-Baptiste Baronian, de son vrai nom Joseph Lous Baronian, né à Anvers le 29 avril 1942 de parents arméniens, est un écrivain belge de langue française très prolifique[4], tout à la fois romancier, auteur de nouvelles fantastiques, d’anthologies et de livres pour enfants, critique littéraire[5] et essayiste. Il a longtemps travaillé dans l’édition, notamment comme directeur de collection chez Marabout, à la Librairie des Champs-Élysées, au Livre de poche, chez Hermé, au Fleuve noir et chez NéO.
Il est membre du jury du Prix Nocturne et de l’Académie royale de langue et de littérature françaises, de même que président des Amis de Georges Simenon, association créée en 1987, établie à Bruxelles, qui publie périodiquement Les Cahiers Simenon.
Jean-Baptiste Baronian apparaît en tant que personnage dans l’excellent roman Vogelsang ou la mélancolie du vampire de l’écrivain belge hors norme Christopher Gérard[6].
Si le titre Lord John semble à première vue être une réminiscence du Lord Jim (1900) de Joseph Conrad (1857-1924) racontant l’histoire d’un jeune officier de marine marchande britannique épris de rêves héroïques, mais marqué du sceau d’infamie, il est surtout à mettre en corrélation avec l’œuvre de l’écrivain populaire gantois Jean Ray (1887-1964), père du personnage de Harry Dickson, qui signa certains de ses ouvrages du pseudonyme de John Flanders.
Lord John est à la fois une recherche d’identité, un récit initiatique, un texte aux accents quelque peu autobiographiques et un roman d’énigme.
Mais aussi un conte réaliste dont « la puissance d’évocation est d’une force confondante », écrit fort justement Luc Dellisse[7] dans sa préface.
En voici l’argument :
Le jour de ses dix-huit ans, Alex[8] reçoit de son père, qui est bouquiniste à Bruxelles, un étrange cadeau : il lui demande de dépouiller les innombrables livres accumulés dans un grenier. Au cours de son travail, Alex découvre des fascicules populaires, aux couvertures colorées et aux titres intrigants, qui le fascinent. C’est un monde inouï, peuplé de rêves et de voyages, de mystères et d’aventures, un monde que le père d’Alex, justement, aurait fort bien connu, qu’il aurait partagé avec un certain John, et à propos duquel il peut devenir intarissable. Et voilà que la réalité rejoint brutalement l’imaginaire ; la vie d’Alex devient une quête entêtée, qui le conduira tour à tour au bout du désir, du mystère et de la mort du père.
Et de « l’oncle John »…
Fils de l’écrivain et poète belge Constant Burniaux (1892-1975), Robert Burniaux alias Jean Muno, né le 3 janvier 1924 à Molenbeek-Saint-Jean et mort le 6 avril 1988 à Bruxelles, était un écrivain belge, à la fois romancier et nouvelliste, qui fut également enseignant à l’École normale Charles Buls à Bruxelles. Il reçut le Prix Rossel en 1979, pour Histoires singulières et il fut lui aussi membre de l’Académie royale de langue et de littérature françaises.
Nombre d’œuvres de Jean Muno relèvent du genre fantastique et appartiennent à ce que l’on appela l’École belge de l’étrange, s’agissant également de certains écrits de Jean Ray, Franz Hellens (1881-1972) et Thomas Owen (1910-2002).
Son roman Jeu de rôles, qui mêle humour et ironie, vagabonde entre réalité et affabulations burlesques.
Résumé :
« Fabre est employé au Service des Dossiers en Souffrance, service en trompe-l’œil, où rien ne se passe, où rien ne peut se passer, et où les employés, camés d’ennui, finissent somnambuliques. Fabre est de ceux-là. Hors de l’enceinte du ministère, rien ne devrait justifier ce recours systématique au sommeil. Pourtant, Fabre s’endort tout le temps, partout, dans les transports en commun, aux toilettes, en mangeant, en marchant…
Il consulte, mais il n’est pas malade… Sa doctoresse lui propose alors la guérison par l’écriture. »
Et, ainsi que le décrit Jean-Baptiste Baronian dans sa préface, ce roman « est une partie ludique infinie et fabuleuse entre l’auteur et ses créatures, entre les créatures elles-mêmes et au-delà, naturellement, entre l’écrivain et son public. (…) Avec Jeu de rôles, Jean Muno a conféré à cette partie ludique gouvernée par le hasard des aspects tour à tour pathétiques, loufoques et macabres. »
Deux ouvrages incontournables !
PÉTRONE
Lord John par Jean-Baptiste Baronian, préface de Luc Dellisse, Bruxelles, Éditions Névrosée, collection « Les Sous-Exposés » dirigée par Anna Manese, décembre 2020 [1986], 214 pp. en noir et blanc au format 13 x 20 cm sous couverture brochée en couleurs, 16 €
Jeu de rôles par Jean Muno, préface de
Jean-Baptiste Baronian, Bruxelles, Éditions Névrosée, collection
« Les Sous-Exposés » dirigée par Anna Manese, décembre 2020
[1988], 209 pp. en noir et blanc au format 13 x 20 cm sous
couverture brochée en couleurs, 16 €
[1] Mais aussi L’invisible par Jeanne de Tallenay, Une Parisienne à Bruxelles par Caroline Gravière, Âme blanche & Fleur de civilisation par Marguerite Van de Wiele, Modeste Autome par Marguerite Baulu, Je suis le Ténébreux par Monique-Alika Watteau, À part entière & À la poursuite de Sandra par Louis Dubrau, L’odeur du père par Marie Denis, Dora par Marianne Pierson-Piérard et Le semainier par Anne-Marie La Fère.
[2] Paru chez Hermé en 1986.
[3] Publié à Lausanne par Vladimir Dimitrijevic aux Éditions L’Âge d’homme en 1988 (posthume).
[4] Il a publié plus d’une cinquantaine d’ouvrages.
[5] Il signe régulièrement des articles pour des hebdomadaires belges et pour le Magazine littéraire.
[6] L’Âge d’Homme, 2012. Prix Indications.
[7] Luc Dellisse (né à Bruxelles, le 28 février 1953) est un écrivain de langue française. Romancier, essayiste, poète, dramaturge et scénariste de bande dessinée, il a enseigné le scénario de cinéma à la Sorbonne (2005-2014) et à l’École supérieure de réalisation audiovisuelle – Esra (2001-2005), ainsi qu’à l’Université libre de Bruxelles – ULB (2005-2018).
[8] Durant sa carrière, Jean-Baptiste Baronian a usé du pseudonyme d’Alexandre Lous pour signer des romans policiers.