Accompagnateur en montagne et fan de randonnées, Julien Moulin a fait paraître chez Favre à Lausanne un superbe guide de randonnée intitulé Via Francigena – De Canterbury au col du Grand Saint-Bernard présentant par le menu les villes et les villages étapes de l’un des plus anciens pèlerinages chrétiens.
Extraits :
L’HISTOIRE DE LA VIA FRANCIGENA
Le début de l’histoire
Au début du Moyen Âge, vers le VIIe siècle, les Lombards rivalisaient avec les Byzantins pour le territoire italien. La nécessité stratégique de relier le territoire de Pavie à ses ducs méridionaux par une route suffisamment sûre a conduit à choisir un itinéraire à travers les Apennins près du passage actuel de Cisa et pour s’éloigner de la côte, après la vallée de Magra, vers Lucques. De là, afin de ne pas trop s’approcher des zones byzantines, le chemin empruntait la vallée d’Elsa en direction de Sienne. Puis, traversant les vallées d’Arbia et d’Orcia, il se dirigeait vers la Vallée de Paglia et le territoire du Latium, où il rejoignait l’ancienne Via Cassia menant à Rome.
Le chemin tire son nom de l’ancien col de Cisa (Mons Langobardorum), « Via di Monte Bardone », mais ce n’était pas réellement une route telle que l’entendaient les Romains, encore moins au sens moderne du terme. En fait, après la chute de l’Empire romain, les anciens bâtiments ont été abandonnés et, à l’exception de quelques cas chanceux, sont tombés en ruine. Au point que, à cette époque, le mot italien « rotta » (littéralement « cassé ») a été utilisé pour décrire la direction à prendre.
Les choix de la route
La route n’était pavée qu’à l’intérieur des villes. Dans les tronçons de liaison, il fallait se contenter de pistes ou de sentiers plus ou moins balisés qui conduisaient à des hébergements proposés ou à certains passages obligés. Ces derniers variaient régulièrement pour différentes raisons : gués à traverser, débordements de cours d’eau, glissements de terrain, modifications de limites territoriales et présence de bandits. Il est donc clair que la reconstruction de la « vraie » voie de la Via Francigena constituerait aujourd’hui un défi impossible, car elle n’a jamais parfaitement existé : il est toutefois raisonnable de retracer les principaux hébergements et lieux visités par les passants le long de la Via.
La naissance de la Via Francigena
Lorsque la domination lombarde a laissé la place aux Francs, la Via di Monte Bardone a également pris le nom de Via Francigena, c’est-à-dire « route originaire de France ». Le nom incluait, au-delà du territoire français actuel, la région de la vallée du Rhin et les Pays Bas. Dès lors, le trafic sur la Via Francigena n’a cessé d’augmenter, si bien que le chemin est devenu le principal axe de communication entre le nord et le sud de l’Europe, le long duquel passaient marchands, armées et pèlerins.
Le pèlerinage au fil des siècles
Entre la fin du Ier millénaire et le début du IIe, la pratique du pèlerinage a pris une importance croissante. Les lieux saints du christianisme étaient Jérusalem, Saint-Jacques-de-Compostelle et Rome, et la Via Francigena représentait le point de jonction central des grandes routes de la foi. En fait, les pèlerins venant du nord ont emprunté la Via en direction de Rome, puis le long de la Voie Appienne, en direction des ponts des Pouilles, où ils ont pu s’embarquer pour la Terre Sainte.
À l’inverse, les pèlerins italiens qui se dirigeaient vers Saint-Jacques-de-Compostelle empruntaient la Via en direction du nord pour atteindre Luna où ils pouvaient s’embarquer pour les ports de la France ou continuer vers Moncenisio, puis vers la Via Tolosana qui menait en Espagne. Le pèlerinage est rapidement devenu un phénomène de masse, ce qui a intensifié le rôle de la Via Francigena, devenue un canal de communication déterminant pour la réalisation de l’unité culturelle de l’Europe au Moyen Âge.
Les sources itinérantes
C’est principalement grâce aux carnets de voyage, et notamment aux notes de l’illustre pèlerin Sigéric, que nous pouvons aujourd’hui reconstruire l’ancien chemin de la Francigena. En 990, après avoir été ordonné archevêque de Canterbury par le pape Jean XV, l’abbé rentra chez lui en notant sur deux pages du manuscrit les 79 demeures où il s’était arrêté pour la nuit. Le journal de Sigéric est toujours considéré comme la source faisant autorité, à tel point que nous parlons souvent de « Via Francigena selon l’itinéraire de Sigéric », afin de définir une version plus « philologique » du parcours.
Croissance et décadence de la Via Francigena
L’utilisation croissante de la Francigena en tant que voie commerciale a entraîné le développement extraordinaire de nombreux centres le long de la voie. La Via devint stratégique pour le transport de marchandises en provenance de l’est (soie et épices) vers le nord de l’Europe et pour leur échange, généralement aux foires de Champagne, avec du lin damassé de Flandre et du Brabant. Au XIIIe siècle, le trafic commercial a tellement augmenté que la Via Francigena s’est développée de différentes manières, de sorte qu’elle a perdu son caractère distinctif et qu’elle s’est fractionnée en différents itinéraires de connexion entre le nord et Rome. À tel point que le nom a été changé en Romea, soulignant que ce n’était plus la seule origine, mais la destination. De plus, l’importance croissante de Florence et des centres de la vallée de l’Arno a déplacé les chemins en direction de l’est, jusqu’à ce que la trajectoire Bologne-Florence isole le col de la Cisa en une fonction purement locale, proclamant la fin de l’ancien chemin.
Un nouvel intérêt pour la Via Francigena est apparu ces derniers temps à la suite de la redécouverte du Chemin de Saint-Jacques, dans les années 1970 et consolidée à partir des années 1980. Cette expérience a eu pour résultat une prise de conscience accrue de la présence d’un ancien chemin de pèlerinage européen, encore largement reconnaissable malgré les changements qui se sont produits au fil du temps.
LES ÉTAPES EN UN COUP D’ŒIL
Les étapes sont réparties par pays et pour la France par département (sur les 101 départements, 8 sont traversés dans les nouvelles régions des Hauts-de-France, du Grand Est et de la Bourgogne-Franche-Comté)
ANGLETERRE – KENT
1. Canterbury – Dover 27 km
FRANCE – PAS-DE-CALAIS
2. Dover – Calais – Wissant 20 km
3. Wissant – Guînes 20 km
4. Guînes – Audenfort 18 km
5. Audenfort – Wisques 32 km
6. Wisques – Thérouanne 22 km
7. Thérouanne – Amettes 20 km
8. Amettes – Bruay-la-Buissière 23 km
9. Bruay – Ablain-Saint-Nazaire 26,5 km
10. Ablain-Saint-Nazaire – Arras 21 km
11. Arras – Bapaume 25,5 km
FRANCE – LA SOMME ET L’AISNE
12. Bapaume – Péronne 37 km
13. Péronne – Saint-Quentin 33 km
14. Saint-Quentin – Seraucourt-le-Grand 12 km
15. Seraucourt-le-Grand – Tergnier 22 km
16. Tergnier – Laon 38 km
17. Laon – Corbeny 25 km
18. Corbeny – Berry-au-Bac 17,5 km
FRANCE – MARNE, HAUTE-MARNE ET AUBE
19. Berry-au-Bac – Reims 26 km
20. Reims – Verzy 20 km
21. Verzy – Condé-sur-Marne 22 km
22. Condé-sur-Marne – Châlons-en-Champagne 20 km
23. Châlons-en-Champagne – La Chaussée-sur-Marne 22 km
24. La Chaussée-sur-Marne – Vitry-le-François 23 km
25. Vitry-le-François – Outines 33 km
26. Outines – Villeret 18 km
27. Villeret – Brienne-le-Château 26 km
28. Brienne-le-Château – Dolancourt 28 km
29. Dolancourt – Clairvaux 26,5 km
30. Clairvaux – Châteauvillain 24 km
31. Châteauvillain – Faverolles 35 km
32. Faverolles – Langres 23 km
33. Langres – Torcenay (Culmont-Chalindrey) 23 km
34. Torcenay (Culmont-Chalindrey) – Champlitte 37 km
FRANCE -HAUTE- SAÔNE ET DOUBS
35. Champlitte – Dampierre-sur-Salon 25 km
36. Dampierre-sur-Salon – Bucey-lès-Gy 32 km
37. Bucey-lès-Gy – Besançon 32 km
38. Besançon – Foucherans 26 km
39. Foucherans – Lods 22 km
40. Lods – Pontarlier 27 km
41. Pontarlier – Les Fourgs 15 km
42. Les Fourgs – Jougne 14,5 km
SUISSE – VAUD ET VALAIS
43. Jougne – Orbe 18 km
44. Orbe – Cossonay 26 km
45. Cossonay – Lausanne 26 km
46. Lausanne – Vevey 22 km
47. Vevey – Aigle 27 km
48. Aigle – Saint-Maurice 18 km
49. Saint-Maurice – Martigny 17 km
50. Martigny – Orsières 20 km
51. Orsières – Liddes/Bourg-Saint-Pierre 14,5 km
52. Liddes/Bourg Saint-Pierre – Col du Grand-Saint-Bernard 11, 5 km
Chacune de ces étapes, illustrée de splendides photographies, est décrite avec précision et l’auteur complète son ouvrage d’une liste d’hébergements avec leur numéro de téléphone.
À vos godasses !
PÉTRONE
Via Francigena – De Canterbury au col du Grand Saint-Bernard par Julien Moulin, Lausanne, Éditions Favre, mars 2020, 207 pp. en quadrichromie au format 13,7 x 21,2 cm sous couverture brochée en couleurs et à rabats, 24 € (prix France)