Se penchant, dans Madame de Pompadour, La du Barry & Marie-Antoinette, trois biographies flamboyantes réunies dans un magnifique coffret paru chez André Versaille à Bruxelles, sur la vie de Jeanne-Antoinette Poisson (1721-1764), de Jeanne Bécu (1743-1793), les deux maîtresses de Louis XV connues sous le nom de marquise de Pompadour et de comtesse du Barry ainsi que sur celle de l’épouse de Louis XVI, les frères Edmond (1822-1896) et Jules (1830-1870) de Goncourt ont fait œuvre de pionniers en construisant leurs ouvrages comme des romans réalistes aux effets dramaturgiques saisissants. Il est vrai que les deux bourgeoises et l’aristocrate dont ils traitent ont « en commun une même destinée : d’abord adulées, encensées, idolâtrées, elles ont fini leurs jours dans l’opprobre des calomnies ou de la guillotine ».
C’est qu’en France, on le sait, la versatilité est chose courante dans tous les milieux, et on reprocha bientôt à celles que l’on portait aux nues pour leur beauté, leur intelligence ou leur (manque de) vertu d’en avoir trop et de se mêler des choses de l’État, ce pré carré des hommes… S’ensuivirent pour celles qui étaient devenues, à leur corps défendant et à leur insu parfois, de « drôles de dames », les affres de la calomnie, de la jalousie, des intrigues, de la violence et de l’ordure, ces fruits blets de la bassesse humaine.
Le style des Goncourt fut unanimement célébré de leur temps, même par leurs contempteurs (ils étaient royalistes), et il n’a pas pris une ride ni perdu une goutte de son alacrité, rendant la lecture de ces trois essais historiques parfaitement jubilatoire. Nous en voulons pour preuve ces quelques lignes, subtiles, sur la fin de l’« Autrichienne » :
Quelques-uns battent des mains sur le passage de la Reine ; d’autres crient. Le cheval marche au pas. La charrette avance lentement. Il faut que la Reine « boive longtemps la mort ».
Devant Saint-Roch, la charrette fait une station, au milieu des huées et des hurlements. Mille injures se lèvent des degrés de l’église comme une seule injure, saluant d’ordures cette Reine qui va mourir. Elle pourtant, sereine et majestueuse, pardonnait aux injures en ne les entendant pas. (…)
Il était midi. La guillotine et le peuple s’impatientaient d’attendre, quand la charrette arriva sur la place de la Révolution. La veuve de Louis XVI descendit pour mourir où était mort son mari. La mère de Louis XVII tourna un moment les yeux du côté des Tuileries, et devint plus pâle qu’elle n’avait été jusqu’alors. Puis la Reine de France monta à l’échafaud, et se précipita à la mort…
Comme aurait (presque) dit Bakounine : « Nom de Dieu ! Quel talent ! »…
PÉTRONE
Madame de Pompadour, La du Barry & Marie-Antoinette par Edmond et Jules de Goncourt, Bruxelles, André Versaille éditeur, décembre 2010, coffret de trois livres respectivement de 350, 250 et 326 pp. en noir et blanc au format 15,5 x 24 cm sous couverture brochée en quadrichromie, 69,90 € jusqu’au 28 février 2011 et 79,90 € ensuite.