Auteur de la première biographie de Charlemagne (ca 830), protagoniste de l’œuvre scolaire et de la renaissance intellectuelle du IXe siècle, Éginhard, né vers 770 et mort le 14 mars 840 à l’abbaye de Saint-Marcellin-et-Saint-Pierre de Seligenstadt (près de Francfort) est issu d’une famille notable de la région du Maingau.
Il est éduqué à l’abbaye de Fulda, à l’époque de l’abbé Baugolf (779-802). Remarqué comme un élève particulièrement doué, il est envoyé vers 792 compléter sa formation à l’école du palais d’Aix-la-Chapelle. Ses capacités dans différents domaines (intellectuels et artistiques) lui permettent d’accéder au petit cercle d’érudits qui entoure Charlemagne, avec son aîné Alcuin [1].
Il joue aussi un certain rôle à la tête de l’empire carolingien. Il effectue plusieurs missions concernant la construction des grands édifices voulus par Charlemagne : palais impérial et chapelle palatine d’Aix-la-Chapelle, palais d’Ingelheim…
Plusieurs missions diplomatiques lui sont confiées. En 806, il est chargé d’aller à Rome informer le pape du projet de partage de l’empire entre les trois fils de Charlemagne.
Après la mort de Charlemagne, il reste à la cour de Louis le Pieux. Il devient en quelque sorte secrétaire de l’empereur et s’occupe de l’éducation de Lothaire, fils aîné de celui-ci.
Louis le Pieux lui fait don de domaines dans sa région d’origine et lui confie plusieurs abbatiats laïcs : Saint-Wandrille (Fontenelle) de 816 à 823, Saint-Bavon de Gand, Saint-Servais de Maastricht. Il fait construire une église à Mulinheim, et y fait transférer des reliques de saint Marcellin et de saint Pierre. En 828, il y fonde l’abbaye de Seligenstadt.
Voyant les fils de Louis le Pieux se rebeller contre leur père à partir de 829, il préfère se retirer de la vie séculière et rédige la Vita Karoli dans la tradition littéraire des Vies des douze Césars de Suétone [2].
Il meurt en 840 à l’abbaye bénédictine de Seligenstadt.
De son ouvrage majeur [3], Les Belles Lettres à Paris proposent, sous le titre Vie de Charlemagne, une nouvelle traduction et un nouvel appareil de notes réalisés par une équipe de spécialistes [4] placés sous la direction de Michel Sot [5] et de Christiane Veyrard-Cosme [6], un petit bijou d’établissement de texte qui ravira les médiévistes et plaira aux amateurs d’histoire bien exposée.
Extrait :
Son physique
[22] Il était d’une corpulence imposante et robuste, d’une haute stature qui toutefois n’avait rien d’excessif – c’est bien connu : il mesurait sept fois la longueur de son pied; il avait le sommet de la tête arrondi, des yeux très grands et vifs, le nez un petit peu plus long que la moyenne, de beaux cheveux, le visage ouvert et gai ; qu’il fût assis ou debout, toute sa personne inspirait autorité et dignité; bien qu’il présentât un cou empâté et assez court, et un ventre assez proéminent, la juste proportion du reste de ses membres masquait cela. Il marchait d’un pas ferme et toute l’allure de son corps offrait quelque chose de viril ; sa voix, certes claire, paraissait cependant ne pas être parfaitement adaptée à son corps. Il jouit d’une santé prospère, avant, pendant les quatre années qui précédèrent sa mort, de souffrir de fièvre à maintes reprises et de finir également par boiter. Alors, il agissait la plupart du temps en suivant ses propres choix plutôt que le conseil des médecins, qui lui étaient devenus presque odieux pour lui avoir interdit les viandes rôties dont il faisait son alimentation habituelle, et lui avoir prescrit des aliments bouillis.
Point de barbe fleurie, donc…
PÉTRONE
Vie de Charlemagne par Éginhard, texte, traduction et notes sous la direction de Michel Sot et Christiane Veyrard-Cosme, illustrations de Benjamin Van Blancke, Paris, Éditions Les Belles Lettres, novembre 2019, 162 pp. en noir et blanc au format 12,6 x 19,3 cm sous couverture brochée en couleurs et à rabats, 17 € (Prix France)
TABLE DES MATIÈRES
Introduction
Éginhard en son temps : une révision historiographique
“Louis the Pious reconsidered”
Les œuvres d’Éginhard, historien et hagiographe
La date de la Vie de Charlemagne par Éginhard
Pour une datation haute : 817‑821
Pour une datation basse : 828‑833
Des datations médianes : au milieu des années 820
Modèles et sources de la Vita Karoli
L’importance de Suétone
… et celle de Cicéron
Les Annales royales et le Livre des évêques de Metz
Annales, histoire et hagiographie
Histoire et annales dans l’Antiquité
Histoire et hagiographie chez Éginhard
Les divisions en parties et chapitres
La traduction
Éditions, traductions et bibliographie
La famille de Charlemagne : généalogie
Vie de l’empereur Charles
Annexes
Préface d’Éginhard
Vers de Gerward
Prologue de Walafrid Strabon
Index des noms propres
[1] Alcuin (né dans le Yorkshire vers 730, et mort à Tours le 19 mai 804) est un poète, savant et théologien anglais de langue latine. L’un des principaux amis et conseillers de Charlemagne, il dirige la plus grande école de l’Empire carolingien, l’école palatine à Aix-la-Chapelle. Principal artisan de la Renaissance carolingienne, Alcuin est, selon Éginhard, « l’homme le plus savant de son temps ».
[2] Suétone (en latin Caius Suetonius Tranquillus) est un haut fonctionnaire romain, membre de l’ordre équestre, auteur de nombreux ouvrages dont les Vies des douze Césars qui rassemblent les biographies de Jules César à Domitien. Il a vécu à la fin du Ier et au début du IIe siècle.
[3] On lui doit aussi De Translatione et miraculis sanctorum Marcellini et Petri (« La Translation et les miracles des saints Marcellin et Pierre ») ; Libellus de adoranda Cruce (« Traité sur l’adoration de la Croix ») ; Annales qui dicuntur Einhardi (« Annales (qui sont) dites d’Éginhard ») couvrant la période 741-801 ainsi que 71 lettres.
[4] Julien Bellebarbe, Gaëlle Calvet-Marcadé, Sylvie Joye, Klaus Krönert, Céline Ménager, Mickaël Ribreau, Sumi Shimahara, Jens Schneider, Claire Tignolet, Clémentine Valette et Loïc Zimmer.
[5] Michel Sot, professeur émérite d’histoire du Moyen Âge à l’université Paris-Sorbonne, spécialiste de l’historiographie du haut Moyen Âge, a notamment dirigé dans la même collection l’édition et traduction des Gestes des évêques d’Auxerre.
[6] Christiane Veyrard-Cosme, professeur en langue et littérature latines à l’Université Sorbonne-Nouvelle, directrice du Centre d’Études sur l’Antiquité Rémanente (EA 173), spécialiste de littérature médiolatine hagiographique et épistolaire. Elle a récemment publié Tacitus Nuntius. Recherches sur l’écriture des Lettres d’Alcuin (730 ? – 804) dans la collection Moyen Âge et Temps Modernes des Études augustiniennes.