Bernard Fall est né le 19 novembre 1926 à Vienne dans une famille juive contrainte de fuir l’Anschluss (1938) en se réfugiant à Nice où elle échappa à la grande rafle de la police de Vichy et où il acquit la nationalité française.
Engagé dans la Résistance dès 1942, il a participé aux combats dans la Haute-Maurienne où il décrocha ses galons de lieutenant FFI deux ans plus tard.
À la Libération en 1944, il s’engagea dans l’armée régulière. Il y resta jusqu’en 1946.
Après la guerre, Bernard Fall travailla comme analyste des crimes de guerre au procès de Nuremberg. Il enquêta en particulier sur les usines Krupp.
En 1948, il étudie à la Sorbonne puis à l’Université de Munich jusqu’en 1950. Il reçoit alors une bourse d’études Fulbright pour aller étudier aux États-Unis dans le Maryland.
En 1951, il entre à l’Université de Syracuse, NY, où il obtient une maîtrise en science politique. De retour au Maryland, à l’Université Johns-Hopkins de Baltimore, il est encouragé par ses maîtres des Études Internationales à s’intéresser au Viêt Nam.
Ne se contentant pas de documents, Bernard Fall y part à la fin de 1952. Sur le terrain de la Guerre d’Indochine, il peut accompagner les troupes françaises au combat en vertu de sa nationalité française.
À partir de ses observations sur le terrain tant du côté français que du côté Viêt Minh à différents niveaux politiques et militaires, il prédit une possible défaite française dès 1953.
À la chute de Diên Biên Phu, il fait porter aux États-Unis la responsabilité de cette défaite en raison des réticences américaines à apporter une aide suffisante aux Français.
En 1954, Bernard Fall retourne aux États-Unis et épouse Dorothy Winer. L’année suivante, il obtient un doctorat à l’université de Syracuse, NY, et y devint professeur assistant. En 1956, il devient professeur en relations internationales à l’Université Howard de Washington, DC, est titularisé en 1962 et y enseigne par intermittence jusqu’à sa mort en 1967.
Ayant gardé son intérêt pour l’Indochine, il y retourne plusieurs fois (1957, 1962, 1965, 1966 et 1967) pour étudier sur place les développements politiques et sociaux.
En 1962, il enseigne au Cambodge à l’Institut d’Administration.
À l’occasion d’un voyage à Hanoi, il rencontre Hô Chi Minh qui lui prédit le succès du communisme au Sud dans la décennie suivante.
Bernard Fall se montre partisan de la présence américaine au Sud Viêt Nam, pensant qu’elle pouvait empêcher la réunification du pays sous le joug communiste. En revanche, il est très réprobateur envers le régime de Ngô Đình Diệm soutenu par les États-Unis. Il critique aussi les tactiques employées par l’armée américaine au Viêt Nam.
Comme le conflit s’intensifie dans les années 1960, Fall devient de plus en plus pessimiste quant aux chances de victoire américaine, prédisant que les États-Unis perdraient s’ils ne tiraient pas de leçons de la défaite française.
Il publie dès lors de nombreux articles et donne des conférences développant son analyse de la situation au Viêt Nam. Ses recherches sont alors considérées comme exceptionnelles par beaucoup de diplomates et de militaires américains, mais ses opinions défavorables n’ont pas été prises au sérieux.
Dès 1964, Fall conclut à la défaite militaire des États-Unis au Viêt Nam. Ces conclusions attirent l’attention du FBI qui commence à surveiller ses activités.
Le 21 février 1967, accompagnant un peloton d’US Marines dans le cadre de l’opération Chinook II (19 février – 4 avril 1967), sur un terrain qu’il avait parcouru avec les troupes françaises, il saute sur une mine et meurt en laissant une veuve et trois orphelines.
À l’annonce de sa mort, les membres du Congrès des États-Unis et de l’Assemblée nationale de France lui rendirent un hommage debout.
Le livre le plus connu et le plus important de Bernard Fall est certainement Street Without Joy (Rue sans joie, 1961, dont l’adaptation française vient de reparaître aux Belles Lettres à Paris sous l’impulsion du grand éditeur Jean-Claude Zylberstein), un ouvrage qui détaille son expérience et son analyse de la première Guerre d’Indochine.
La « rue sans joie », l’un des hauts lieux de ce conflit qui a dominé la politique française de 1946 à 1954 et dont le souvenir a pesé lourdement sur le drame algérien, était le surnom donné par les troupiers du CEFEO (Corps expéditionnaire français en Extrême-Orient) à la ligne de chemin de fer trans-indochinoise et à la Route Coloniale 1 ou RC1 dite « Route mandarine » de Saigon à Hanoï : en effet, les trains et les convois d’automobiles étaient régulièrement attaqués, causant de nombreuses pertes et démoralisant les soldats et les autorités politiques et militaires. C’était le combat du tigre et de l’éléphant voulu par Ho Chi Minh dès 1946. [1]
Quoiqu’incapables de résoudre leurs propres contradictions, le Laos et les deux Viêt-Nam n’en sont pas moins venus à bout des meilleures armées du monde.
Pourquoi et comment ?
Bernard Fall, qui a fait de ce lieu un symbole du désastre indochinois, répond à ces deux questions avec l’autorité d’un spécialiste du Sud-Est asiatique autant que de la guerre révolutionnaire et de la contre-insurrection.
Il est le seul écrivain à avoir eu accès aux archives officielles du Corps expéditionnaire d’Indochine.
Mais sa réponse est également celle du témoin direct.
Ni militaire, ni journaliste, il a participé sur le terrain aux opérations, parfois sur les arrières ennemis, et recueilli de la bouche même des rescapés le récit des atroces embuscades qui marquèrent cette guerre.
Témoin capital de l’agonie française en Indochine, il en a écrit le maître-livre.
PÉTRONE
Rue sans joie – Indochine (1946-1962) par Bernard Fall, ouvrage adapté de l’américain par Serge Ouvaroff et l’auteur, préface d’Hervé Gaymard, Paris, Éditions Les Belles Lettres, collection « Le goût de l’Histoire » dirigée par Jean-Claude Zylberstein, novembre 2019, 453 pp. en noir et blanc au format 12,5 x 19 cm sous couverture brochée en couleurs, 15 € (Prix France)
TABLE DES MATIÈRES
Préface d’Hervé Gaymard
Avant-propos
1. – Naissance d’une guerre
2. – À la recherche de la bataille rangée (1re phase)
3. – À la recherche de la bataille rangée (2e phase)
4. – Journal. – « La tournée du laitier »
5. – Avant-poste au Laos
6. – Journal. – Les femmes
7. – La « Rue sans joie »
8. – Journal. – Tournée d’inspection
9. – Mort d’un groupement mobile
10. – Journal. – Les hommes
11. – Les camps de l’enfer vert
12. – Pourquoi Dien Bien Phu ?
13. – La « deuxième Guerre d’Indochine »
14. – La leçon
Annexe I. – Glossaire d’abréviations
Annexe II. – Tableau comparatif des pertes françaises et américaines
Annexe III. – Bibliographie militaire de l’Indochine
Index alphabétique