(Avertissement donné à Rome par un esclave au triomphateur, pour lui rappeler les vicissitudes de la fortune.)
Alain Demurger (°1939) est un historien médiéviste français, spécialiste de l’histoire des croisades et des ordres religieux militaires au Moyen Âge.
Agrégé d’histoire, il a été professeur au lycée de Pontoise, puis maître de conférences et maître de conférences honoraire à l’université de Paris I Panthéon-Sorbonne, où il a enseigné pendant de longues années.
Aujourd’hui, il consacre son temps à poursuivre ses recherches, à écrire et à faire des conférences pour le voyagiste à thèmes historiques Clio.
Auteur disert, il a fait paraître un grand nombre d’ouvrages et d’articles, parmi lesquels on pointera notamment Les Templiers (Paris, Éditions Jean-Paul Gisserot), un court essai passionnant dont une nouvelle version (la princeps est datée de 2007) a été publiée en juillet 2018.
Voici la synthèse qu’il en donne :
« Le procès engagé par le roi de France Philippe le Bel contre les Templiers et la suppression de leur ordre par le concile de Vienne (France) en 1312 ont été à l’origine du développement d’une pseudo-histoire et de légendes qui ont totalement occulté l’histoire de ce qui a été le premier ordre religieux-militaire de la chrétienté médiévale.
Né vers 1120 en Terre sainte et pour la Terre sainte, le Temple est le fils de la chrétienté latine d’Occident, l’Occident dynamique du XIIe siècle.
Il tirait de l’Occident, où il était solidement implanté, une grande partie des revenus et des moyens matériels et humains dont il avait besoin pour remplir sa mission en Orient : la protection armée des pèlerins visitant Jérusalem et le Sépulcre du Christ ; la défense des États latins d’Orient (Antioche, Tripoli, royaume de Jérusalem) établis après le succès de la première croisade et bien évidemment confrontés à leurs voisins musulmans.
Il s’engagea aussi, quoi qu’avec prudence, sur le terrain de la reconquête en péninsule Ibérique : on y trouve aujourd’hui les plus beaux exemples de son architecture militaire.
L’ordre du Temple n’a jamais failli dans sa mission et sa fin tragique ne doit pas grand-chose à son histoire. Il a été un bouc-émissaire, un pion – opportunément disponible – dans le violent conflit, très idéologique qui, durant le règne de Philippe le Bel, a opposé le roi de France et le pape, l’État et l’Église. »
Pour rappel, l’ordre du Temple est un ordre religieux et militaire issu de la chevalerie chrétienne du Moyen Âge, dont les membres sont appelés les Templiers.
Cet ordre fut créé à l’occasion du concile de Troyes, ouvert le 13 janvier 1129, à partir d’une milice appelée les Pauvres Chevaliers du Christ et du Temple de Salomon, du nom du temple de Salomon que les croisés avaient assimilé à la mosquée al-Aqsa (bâtie, selon la tradition juive, sur les restes de ce temple).
Afin de mener à bien ses missions et notamment d’en assurer le financement, il constitua à travers l’Europe chrétienne d’Occident et à partir de dons fonciers, un réseau de monastères appelés commanderies. Cette activité soutenue fit de l’ordre un interlocuteur financier privilégié des puissances de l’époque, le menant même à effectuer des transactions sans but lucratif avec certains rois ou à avoir la garde de trésors royaux.
Après la perte définitive de la Terre sainte consécutive du siège et de la chute de Saint-Jean-d’Acre (1291), l’ordre fut victime de la lutte entre la papauté et Philippe le Bel. Il fut dissous par le pape Clément V le 13 mars 1312 à la suite d’un procès en hérésie.
On se souviendra que Jacques de Molay, 23e et dernier maître de l’ordre du Temple, Geoffroy de Charnay, précepteur de Normandie, Hugues de Pairaud, visiteur de France, et Geoffroy de Goneville, précepteur en Poitou – Aquitaine, furent, à la suite de leur condamnation, brûlés vifs à Paris le 18 mars 1314.
Le clerc Geoffroi (ou Godefroi) de Paris fut un témoin oculaire de cette exécution. Il écrivit dans sa Chronique métrique (1312-1316), les paroles du maître de l’ordre : « […] Je vois ici mon jugement où mourir me convient librement ; Dieu sait qui a tort, qui a péché. Il va bientôt arriver malheur à ceux qui nous ont condamné à tort : Dieu vengera notre mort. […] »
Proclamant jusqu’à la fin son innocence et celle de l’ordre, Jacques de Molay s’en référa donc à la justice divine et c’est devant le tribunal divin qu’il assignait ceux qui sur Terre l’avaient jugé. La malédiction légendaire de Jacques de Molay : « Vous serez tous maudits jusqu’à la treizième génération » lancée par des ésotéristes et historiens par la suite inspira Les Rois maudits [1] de Maurice Druon (1918-2009) [2].
Une visite à faire : la commanderie d’Avalleur
La Commanderie d’Avalleur est une commanderie d’origine templière située dans le département de l’Aube, région Champagne-Ardenne, à environ 25 km au sud de Troyes sur la commune de Bar-sur-Seine.
La commanderie est fondée au profit de l’Ordre du Temple vers 1167, par les dons effectués par le comte Manassès de Bar. Elle s’étend alors sur un domaine forestier de 200 arpents. Il est fait référence à la commanderie d’Avalleur à la date de 1172, d’après les cartulaires.
À partir de cette date, on trouve des traces de donations qui deviennent de plus en plus nombreuses : en 1173, dons de Milon d’Avalleur, en 1174, don de l’usage du moulin de Besaces, par Étienne de Besaces, en 1204, dons des seigneurs locaux concernant des terres à Essoyes. D’autres dons sont faits en 1205, 1207, 1213 par Haymon aux frères de la commanderie, et 1219 par le seigneur de Rochefort et par Milon d’Autricourt. Le dernier templier de cette commanderie fut Chrestien de Bissey.
Lors de la dissolution de l’Ordre du Temple en 1312, la commanderie revient à l’ordre hospitalier de Saint-Jean de Jérusalem. Le domaine reste géré de la même façon. Le 8 février 1520 Avalleur s’agrandit par association avec la commanderie de Thors au nord-est. Devenue bien national à la Révolution, la commanderie passe aux mains d’exploitants agricoles. Dans le corps de logis, deux tours et la bergerie sont détruites et les bâtiments de la ferme sont remaniés au cours du XIXe siècle.
Un seul document (de 1695) montre le plan original de la commanderie. D’après lui, elle était composée d’une vaste cour entourée d’un bâtiment principal en forme de L, d’une porte fortifiée au nord, d’une tour au sud et d’une grosse tour ronde juste en face de la chapelle.
La chapelle
© Christophe Finot
La chapelle fait l’objet d’un classement au titre des monuments historiques depuis le 19 mars 1921. Comme la plupart des chapelles templières, celle d’Avalleur est de forme rectangulaire, mesurant 25 mètres sur 6 mètres, et impose un style épuré et robuste, mais relativement travaillé avec trois travées de croisées d’ogive d’inspiration cistercienne. Le chevet plat, comme dans de nombreuses chapelles templières, est percé de trois longues ouvertures très lumineuses. Toutes les croisées d’ogives sont travaillées et ornées de décors floraux. On peut encore apercevoir des traces de fresques sur certains murs.
Intérieur de la chapelle
© Claude PIARD
Si l’intérieur est de style gothique, l’extérieur, quant à lui, est plutôt roman avec un portail à colonnes et chapiteaux. Le point particulier de cette chapelle est la tourelle fortifiée carrée qui peut laisser penser qu’elle était intégrée au système de défense de la commanderie. On peut noter également, sur la façade nord, le blason de Jacques de Souvré, commandeur de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem en 1616.
Armoiries de Jacques de Souvré
© Christophe Finot
Mais le plus étonnant de cette chapelle est sans conteste la charpente en chênes millénaires de sa toiture, assemblée en recourant à des techniques semblables à celles qui furent en usage pour la construction de celle de Notre-Dame de Paris.
Charpente de la chapelle de la commanderie d’Avalleur
© Bernard Delcord
Elle vaut à elle seule le déplacement et la visite !
PÉTRONE
Les
Templiers par Alain Demurger, Paris, Éditions Jean-Paul
Gisserot, collection « Histoire », [2007], juillet 2018, 127 pp.
en noir et blanc au format 12,5 x 19 cm sous couverture brochée
en couleurs, 5 € (prix France)
[1] Les Rois maudits, Paris, Del Luca, roman historique : Le Roi de fer (1955), La Reine étranglée (1955), Les Poisons de la Couronne (1956), La Loi des mâles (1957), La Louve de France (1959), Le Lis et le Lion (1960), Quand un roi perd la France (1977).