Le titre me chiffonne un peu parce que « Tibetière » me fait penser à « sorbetière », mais j’aimais beaucoup Tibet, le dessinateur le plus délicieux de la BD franco-belge. Si Chick Bill et Ric Hochet sont un peu trop boy-scouts, Aldo Rémy, par contre, contient une dose de subversion, bien faite pour me plaire. Et puis, il y a les caricatures. Tout à coup, on réalise que l’homme avait un talent explosif, très éloigné des pantalonnades, de même qu’un formidable besoin de se défouler, bref un véritable tempérament (ce que les albums ne trahissent que par bribes). Pas étonnant qu’au fil des épisodes, Kid Ordinn ait ravi la vedette à ses comparses. Les 177 portraits rassemblés ici par Le Lombard sont en quelque sorte le pendant réjouissant des idées noires de Franquin, une veine exploitée dans un relatif secret. Particulièrement inspiré quand il croque Bob De Moor, Uderzo, Jacques Brel, Maurice Béjart, Serge Reggiani, Benoît Poelvoorde (une merveille), Haroun Tazieff ou Björn Borg, il semble un peu déconcerté par Adamo, Marlon Brando ou James Dean. Mais après tout, par définition, nul ne peut être tout le temps à son plus haut niveau. « La personne caricaturée n’est jamais contente », remarquait-il, ce qui est assez logique puisque, pour garder le moral, nous passons tous notre temps à nous embellir. La caricature aurait-elle donc pour but de briser le moral des sujets ? Dans le cas de Tibet, elle vise essentiellement à faire rire (et le rire s’exerce souvent aux dépens d’un tiers), mais elle enseigne aussi l’humilité. Par conséquent, seul un homme modeste peut exceller dans cet art singulier. Et il n’y avait pas plus modeste que Gilbert Gascard, lui qui disait : « Pourquoi écrirais-je mes mémoires ? Elles n’intéresseront personne ». Il a quand même raconté son enfance avec finesse dans « Qui fait peur à maman ? ». Et là, ce n’était pas de la caricature.
TACITE
La Tibetière par Tibet, Bruxelles, Le Lombard, décembre 2010, 120 pp. en noir et blanc au format 20 x 25,5 cm sous couverture cartonnée en couleurs, 20 €