Christine de Pizan (ou, dans des textes plus anciens, Christine de Pisan), née à Venise en 1364 et morte au monastère de Poissy dans les Yvelines vers 1430, est une philosophe et poétesse française d’origine italienne.
Considérée comme la première femme écrivaine de langue française ayant vécu de sa plume – veuve non remariée, mère de trois enfants et démunie, elle dut gagner sa vie en écrivant –, elle a connu de son vivant, en raison de ses talents littéraires et de son immense érudition, une très vaste renommée et elle a occupé une place majeure dans la vie intellectuelle et les débats d’idées de son temps.
Ce fut une auteure prolifique dont l’essentiel de la production vit le jour entre 1400 et 1418. Elle a rédigé des traités de politique, d’histoire, de philosophie et des recueils de poésies. Elle s’est retirée dans un couvent à la fin de sa vie, où elle a écrit un Ditié de Jeanne d’Arc.
On lui doit aussi, entre autres, La Cité des dames et Cent ballades d’amant et de dame, un recueil dialogué qu’ont réédité les Éditions Gallimard dans leur collection « Poésie » à l’initiative de Jacqueline Cerquignili-Toulet, l’occasion de découvrir un ouvrage dont Jacques Roubaud [1] considère qu’il atteint un sommet dans l’art de la ballade [2].
Cependant l’œuvre de Christine de Pizan tomba dans l’oubli après la Renaissance et il fallut attendre le XXe siècle pour qu’on la relise, sous l’impulsion de féministes qui ont vu en elle une pionnière de leur cause, car elle s’est par exemple opposée vivement à Jean de Meung et à la misogynie du Roman de la rose.
La réédition des Cent ballades d’amant et de dame constitue donc un événement d’importance en tant que plongée dans des racines profondes et souvent méconnues de la pensée occidentale.
PÉTRONE
Cent ballades d’amant et de dame par Christine de Pizan, édition bilingue, présentation, édition et traduction de Jacqueline Cerquignili-Toulet, Paris, Éditions NRF Gallimard, collection « Poésie », janvier 2019, 336 pp. en noir et blanc au format 10,8 x 17,8 cm sous couverture brochée en couleurs, 10,20 € (prix France)
Extrait :
LA DAME XLII
Mon ami plaisant et doulz,
Qu’aim plus que chose qui soit,
Hé las !, et que ferons nous,
Car bien voy qu’on aperçoit
Nostre amour, dont trop me poise ?
Ainsi plus ne nous verrons,
Car on veult que hors m’en voise,
Je ne sçay que nous ferons.
Et tant me tient le jaloux
Courte, que, s’il ne me voit,
Il enrage de courroux.
Mais, se forsener devoit,
Vous verray ja, pour sa noise
Ne lairay, jouer yrons,
Mais s’on voit qu’o vous revoise,
Je ne sçay que nous ferons.
Au fort, se mesdisans tous,
– Aviengne qu’avenir doit ! –
L’avoient juré, si vous
Verray je souvent ; or voit
Si qu’il puet, quelque courtoise
Voye nous y trouverons ;
Mais se ce parler n’acoise,
Je ne sçay que nous ferons.
Je ne les prise une boise ;
Au fort, nous entr’amerons ;
Du surplus, je m’en racoise,
Je ne sçay que nous ferons.
42 LA DAME
Mon ami avenant et doux
Que j’aime par-dessus tout,
Hélas ! Que ferons-nous ?
Je vois bien qu’on soupçonne
Notre amour, ce qui me pèse.
Nous ne nous verrons plus
Car on veut que je m’en aille ;
Je ne sais ce que nous ferons.
Et le jaloux me tient
D’une laisse si courte que, s’il ne me voit,
Il enrage de colère.
Mais devrait-il en devenir fou,
Je vous verrai ; malgré sa querelle
Je ne renoncerai pas, nous irons nous amuser.
Mais si on voit que je vous fréquente à nouveau
Je ne sais ce que nous ferons.
Enfin même si tous les médisants
– Advienne que pourra –
L’avaient juré, je vous
Verrai souvent. Voyons,
Autant qu’il se peut, quel moyen
Bienséant nous trouverons.
Mais si ces bruits ne s’apaisent pas
Je ne sais ce que nous ferons.
Je n’en tiens aucun compte.
À la fin nous nous entr’aimerons ;
Pour le reste, je m’apaise,
Je ne sais ce que nous ferons.
[1] Jacques Roubaud, né le 5 décembre 1932 à Caluire-et-Cuire (Rhône), est un poète, écrivain et mathématicien français. Membre de l’Oulipo, il a développé une œuvre abondante, qui comprend des ouvrages de prose, de poésie, des écrits autobiographiques et des essais. Il s’est également intéressé à l’utilisation des mathématiques et de l’informatique pour l’écriture à contraintes oulipienne. Il a reçu plusieurs prix littéraires couronnant l’ensemble de son œuvre : le Grand prix national de la poésie en 1990 et le Grand prix de littérature Paul-Morand de l’Académie française en 2008 (Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Jacques_Roubaud).
[2] Au Moyen Âge, poème lyrique d’origine chorégraphique, d’abord chanté, puis destiné seulement à la récitation. À partir du XIVe siècle, poème à forme fixe, composé de trois strophes suivies d’un envoi d’une demi-strophe. (Dictionnaire Larousse)