Frédéric Le Moal, docteur en histoire (Paris IV-Sorbonne), professeur au lycée militaire de Saint-Cyr et à l’Institut Albert le Grand, est l’auteur de plusieurs ouvrages dont, chez Perrin à Paris, Victor-Emmanuel III. Un roi face à Mussolini et Les Divisions du pape. Le Vatican face aux dictatures 1917-1989.
Il a publié chez le même éditeur une monumentale Histoire du fascisme particulièrement documentée et dotée d’une riche bibliographie (en italien, notamment) ainsi que d’un index des plus précieux pour la lecture.
En voici le prière d’insérer :
« Qu’est-ce que le fascisme ?
Fut-il un mouvement réactionnaire, conservateur ou révolutionnaire ? Se situait-il à gauche ou à droite ? Et bien entendu : quelle place occupa Mussolini dans les débats idéologiques et dans le fonctionnement du régime ? Le présent ouvrage donne non seulement des réponses à ces questions cruciales, mais porte sur le fascisme un regard nouveau et inhabituel chez les historiens français.
Réaffirmant avec force le caractère totalitaire du régime, il replace l’idéologie qui le fonde dans sa nature révolutionnaire tout en la rattachant à la Révolution française et au socialisme.
Si les fascistes cherchèrent à détruire par la violence la modernité libérale de leur temps, ce ne fut pas au nom d’un âge d’or révolu et dans une démarche passéiste, mais avec la volonté farouche de construire une société et un homme nouveaux.
Cette ambition imprégnait aussi bien les pensées et les actes du Duce que ceux de ses disciples, y compris dans la radicalisation sanglante de la république de Salò.
Pour toutes ces raisons, l’histoire du fascisme, ici racontée de la prise de pouvoir de Mussolini jusqu’à sa mort, est celle d’une révolution avortée. »
En onze chapitres limpides et passionnants, l’auteur remet bien des pendules à l’heure à propos d’un régime politique qui se vantait de faire circuler les trains de la même façon…
PÉTRONE
Histoire du fascisme par Frédéric Le Moal, Paris, Éditions Perrin, avril 2018, 425 pp. en noir et blanc au format 15,5 x 24 cm sous couverture brochée en couleurs, 23 € (prix France)
CONCLUSION (EXTRAITS)
Le fascisme est mort
Le fascisme s’acheva dans la violence en laissant derrière lui ruines, deuils, haines et misères.
Pouvait-il en être autrement pour ce mouvement révolutionnaire aux racines jacobines, risorgimentales et garibaldiennes, socialiste et nationaliste, ennemi implacable du libéralisme et de l’esprit bourgeois, et qui se voulut religion civile de substitution au christianisme ?
Venu de l’extrême gauche socialiste, il voulut réconcilier nation et socialisme, en étant porté par la classe moyenne qui, aux lendemains de la Grande Guerre, assuma un rôle contestataire. Son projet de refonte des sociétés et de transformation de l’homme portait en lui la violence comme les nuées portent l’orage. Pourtant, force est de constater que l’État fasciste resta au stade d’un totalitarisme incomplet et limité, plus fort dans l’intention que dans l’accomplissement si on le compare à ses sanguinaires comparses soviétique et nationale-socialiste. Trop de compromis, de forces hostiles, de corps autonomes se dressaient sur son chemin pour lui permettre de s’emparer de l’esprit des Italiens et de détruire les institutions traditionnelles. On est loin des horreurs du Goulag et d’Auschwitz.
Cette incontestable réalité ne dispense cependant pas de se poser une question : jusqu’où serait allé le fascisme s’il n’avait pas été anéanti en 1945 ? Aurait-il rejoint les deux autres totalitarismes dans l’échelle de l’horreur ?
Ce que l’on peut affirmer sans crainte d’être démenti, c’est qu’il connut une inflexible montée en intensité, un crescendo dans la radicalité depuis les compromis et la prudence de la première moitié des années 1920 jusqu’à la brutalité de la RSI.
Les années 1925, 1929, 1938, 1943 sont autant d’étapes vers un État sans cesse plus oppressant, une violence toujours plus affirmée et légale, une pression encore plus forte sur les consciences, tout cela au nom de la révolution permanente.
Or, la révolution fasciste avorta et pas seulement à cause de l’échec militaire. Elle avait échoué bien avant l’écroulement de 1943.
On trouve les symptômes de cette faillite déjà pendant le Ventennio et dans le fossé entre les mythes du fascisme et les réalités sociales de l’Italie. L’homme nouveau ne surgit jamais du pétrissage voulu par les chemises noires. La religion fasciste n’accoucha pas d’une « communauté de croyants », mais d’une élite de fanatiques coiffant une masse de sceptiques récitant des slogans creux, adorateurs sincères d’un Duce dont ils se détournèrent dès qu’il se montra faillible et qu’ils abandonnèrent quand les Judas du Grand Conseil le poussèrent vers la sortie.
Mussolini réussit à absorber une grande partie du fascisme dans sa propre personne. Ce fut la force et la faiblesse du mouvement qui ne pouvait de ce fait que difficilement lui survivre comme le démontra l’écroulement collectif de juillet 1943.
Le maintien de la monarchie, la puissance de l’Église, l’autonomie des grandes entreprises, les différences sociologiques et géographiques de la société italienne et tout simplement la nature même de l’être humain firent le reste pour entraver la révolution anthropologique.
Son échec n’enlève toutefois rien à sa nature totalitaire. Il aurait même tendance à la confirmer.