Adapté de sa thèse de doctorat en histoire défendue en 2015 à l’Université catholique de Louvain-la-Neuve, l’ouvrage de Pierre-Luc Plasman intitulé Léopold II, potentat congolais – L’action royale face à la violence coloniale (Bruxelles, Éditions Racine) est l’étude magistrale d’un sujet particulièrement délicat, comme l’indique son maître, le professeur Michel Dumoulin, dans sa préface :
« Une abondante littérature existe désormais aussi bien à propos du deuxième roi des Belges qu’à celui de l’État indépendant du Congo (EIC), dont il fut le souverain entre 1885 et 1908. Mais qui dit quantité ne dit pas nécessairement qualité, et ce, quelle que soit l’orientation des auteurs. Les uns, confondant enquête historique et réquisitoire implacable prononcé au nom de la morale de notre temps, accumulent les clichés et les contre-vérités. Les autres, nostalgiques du temps colonial, confèrent à leur mémoire le statut de source de la vérité historique. Dès lors, faut-il même souligner combien tout discours soucieux d’échapper au simplisme est rendu quasiment inaudible du fait du tumulte provoqué par l’instrumentalisation du passé au nom de la repentance par les uns, des bienfaits de la colonisation et du gâchis de la décolonisation par les autres ?
Sans prétendre détenir LA vérité, Pierre-Luc Plasman, s’appuyant sur les travaux souvent pionniers d’illustres prédécesseurs et exploitant une masse impressionnante de sources inédites, publiques et privées, ainsi que de non moins nombreuses sources imprimées, vise deux objectifs. Le premier, pour faire bref, consiste à étudier la naissance et le développement des rouages de l’EIC. Le second relève du souci de comprendre pourquoi le régime léopoldien a été synonyme d’une très grande violence épousant diverses formes.
Léopold II, jadis présenté comme un géant au génie incompris de ses contemporains aussi mesquins que dépourvus d’ambition pour leur patrie, l’est, aujourd’hui, comme un sinistre génocidaire. Cette opposition radicale entre deux représentations, la seconde l’emportant désormais largement sur la première, a limité l’étude de la substance et des formes du régime léopoldien à la portion congrue. Comme si la volonté du roi des Belges avait été la seule et unique source d’inspiration du système progressivement mis en place. Or, s’il est évident que le Roi a sans cesse été à la recherche d’une colonie ou d’un domaine rémunérateur, il tombe sous le sens qu’il ne pouvait pas y parvenir “seul contre tous”. »
L’ouvrage aborde pour la première fois dans les détails et en chiffres le fonctionnement de l’État indépendant du Congo ainsi que le rôle précis de Léopold II en vue de mieux comprendre les atrocités liées à la récolte du caoutchouc commises par les acteurs sur place – « hauts fonctionnaires territoriaux et directeurs de sociétés abusant largement de leurs prérogatives, agents subalternes et sentinelles africaines intégrant la bestialisation de leur comportement dans leur cadre de travail » [1] – ainsi que les actions du souverain dans une voie réformatrice, mais aveuglée par le déni et prenant la campagne anti-congolaise pour l’expression d’une frustration de l’impérialisme anglais, alors que la source des abus résidait dans le système même d’exploitation de l’EIC.
Enfin, « aussi horribles soient-elles, (l)es violences de masse ne peuvent pas être qualifiées de génocidaires. De même, la moitié de la population congolaise n’a pas été exterminée. Il existe cependant bel et bien un déclin démographique dans lequel la terreur et la violence jouent un rôle primordial à côté d’autres facteurs, comme la dénatalité vénérienne. » [2]
Une vaste remise en place des idées reçues…
PÉTRONE
Léopold II, potentat congolais – L’action royale face à la violence coloniale par Pierre-Luc Plasman, préface de Michel Dumoulin, Bruxelles, Éditions Racine, novembre 2017, 246 pp. + un cahier photos de 8 pp. en noir et blanc au format 15,5 x 24 cm sous couverture brochée en couleurs, 24,95 €
[1] Page 226.
[2] Pages 226-227.