Jean-Claude Servais, le dessinateur gaumais bien connu, a relevé un challenge de taille : créer en deux tomes sobrement intitulés Orval une bande dessinée dont l’héroïne principale est la tout aussi gaumaise abbaye brassicole. Revenant sur la légende qui valut son nom au Val d’Or, découvert en 1070 par des moines bénédictins à la recherche d’un endroit pour édifier leur abbaye, le dessinateur mêle les personnages et les époques dans un récit tout en allusions subtiles qui relate les causes de la destruction au canon de l’abbaye par les sans-culottes en décembre 1793, puis la naissance d’une autre légende relative au trésor que les moines y auraient dissimulé dans ses souterrains.
En évoquant, à travers des épisodes marquants, la fondation, le rayonnement et la décadence de l’abbaye d’Orval, l’auteur brosse le portrait d’un ordre religieux animé d’un idéal de pureté, rattrapé par les turpitudes de ce monde.
Il raconte aussi l’histoire de deux hommes que tout sépare, mais dont la destinée se retrouve liée par l’abbaye. L’un y est moine et reste dans ses parages alors même qu’elle n’existe plus, tandis que l’autre en convoite les richesses supposées. Le drame, noué avant même la Révolution, éclate lorsque le fils illégitime du second surgit, et essaie d’arracher au moine reclus dans la forêt le secret de ce fameux trésor.
Les planches de cette fresque sont littéralement époustouflantes, en particulier celles représentant les bâtiments splendides de ce qui fut l’un des palais les plus mirifiques de la chrétienté occidentale. Le scénario, elliptique, ouvre à la rêverie historique et à la méditation philosophique, tandis que les êtres de chair et de sang (les femmes, en particulier) qui jalonnent le récit mêlent beauté physique et évanescence délicate dans un brassin d’images hautes en couleur.
PÉTRONE
Orval 1 et Orval 2 par Jean-Claude Servais, Marcinelle, Éditions Dupuis, novembre 2009 et octobre 2010, chacun 56 pp. en quadrichromie au format 24 x 32 cm sous couverture cartonnée en couleur, 14,50 €