Médiéviste belge de grande réputation, Henri Pirenne (Verviers, 1862 – Uccle, 1935), qui a inspiré l’École des Annales [1], est l’une des grandes figures de la résistance non violente à l’occupation allemande de la Belgique durant la Première Guerre mondiale.
En 1886, il est désigné professeur extraordinaire à l’Université de Gand et chargé d’y enseigner l’histoire du Moyen Âge et l’histoire de Belgique. Il le restera jusqu’en 1930, à l’exception de 1916 à 1918, où il fut captif en Allemagne.
Lors de la flamandisation de l’Université de Gand en 1930, Henri Pirenne, ne parlant pas le flamand, dut céder son poste de professeur d’histoire. En 1933, il fut le premier lauréat du prix Francqui.
Il est notamment l’auteur de l’Histoire de l’Europe, des invasions au XVIe siècle [2] et de l’Histoire de Belgique [3].
Sa réputation repose sur trois grandes contributions à l’histoire européenne.
La première concerne les origines du Moyen Âge par la formation de nouveaux États et le déplacement du commerce vers le Nord.
La deuxième est une vue distincte de l’histoire médiévale de la Belgique et, finalement, un modèle pour le développement de la cité médiévale.
Quant à la troisième, rappelons que c’est en 1922 qu’Henri Pirenne avait fait paraître dans la Revue belge de philologie et d’histoire un article de grand retentissement intitulé « Mahomet et Charlemagne ». Le texte se conclut par : « Sans l’islam, l’Empire franc n’aurait sans doute jamais existé, et Charlemagne sans Mahomet serait inconcevable ».
Dès lors, Henri Pirenne enchaîna articles, colloques et conférences pour appuyer sa thèse, mais il ne rédigera que tardivement, peu avant sa mort en 1935, son ouvrage synthétisant toutes ses recherches et portant le titre de son premier article, Mahomet et Charlemagne.
Le livre aura une publication posthume, en 1937 [4], et il vient d’être réédité à Paris, aux Éditions Perrin, dans la fameuse collection de poche « Tempus ».
Dans cette thèse sur les origines, l’auteur développe deux idées principales :
– Une continuation de la civilisation méditerranéenne après les invasions germaniques ; les peuples dits « barbares » se romanisent tant que la Méditerranée a pu jouer son rôle d’unité politico-économique et culturelle. L’empire romain fondé sur une structure de cités et dont le commerce est centré sur la Méditerranée est donc peu touché par les invasions barbares du Ve siècle. La culture romaine peut se maintenir au bord de la Méditerranée, le rayonnement de Constantinople prenant le relais de Rome [5].
– La conquête musulmane en Afrique du Nord, en Occident (Espagne, Corse, Sardaigne et sud de l’Italie) et en Orient rompt l’unité méditerranéenne, sépare l’Orient de l’Occident. La Méditerranée occidentale n’est plus le lieu d’échange entre Europe, Afrique et Orient, mais est devenue un lac musulman. L’Occident est alors obligé de vivre en vase clos, le pouvoir politique remonte vers le nord de l’Europe occidentale, l’État franc va se développer et une économie purement terrienne va naître.
Selon Henri Pirenne, l’avancée de l’Islam serait donc à l’origine de la rupture avec l’Antiquité. Séparant définitivement l’Orient et l’Occident, elle aurait mis fin à l’unité méditerranéenne et repoussé l’axe de la civilisation du Sud vers le Nord. L’État franc, confiné au Nord, aurait donné naissance à un monde nouveau : le royaume mérovingien, dans lequel la dynastie des Carolingiens s’imposait. Le Moyen Âge commençait.
Cette thèse, qui aujourd’hui encore suscite de nombreux débats, occupa Henri Pirenne durant les vingt dernières années de sa vie. Elle compte désormais parmi les classiques.
Et ne manque pas d’actualité !
PÉTRONE
Mahomet et Charlemagne par Henri Pirenne, préface de Jacques Pirenne, Paris, Éditions Perrin, collection « Tempus », janvier 2016, 312 pp. en noir et blanc au format 11 x 17,8 cm sous couverture brochée en quadrichromie, 8 € (prix France)
Sommaire :
L’EUROPE OCCIDENTALE AVANT L’ISLAM
Continuation de la civilisation méditerranéenne en Occident après les invasions germaniques
La « Romania » avant les Germains
Les invasions
Les Germains dans la « Romania »
Les États germaniques en Occident
Justinien (527-565)
La situation économique et sociale après les invasions et la navigation méditerranéenne
Les personnes et les terres
La navigation orientale, Syriens et Juifs
Le commerce intérieur
La monnaie et la circulation monétaire
La vie intellectuelle après les invasions
La tradition antique
L’Église
L’Art
Caractère laïque de la société
Conclusion
L’ISLAM ET LES CAROLINGIENS
L’expansion de l’Islam dans la Méditerranée
L’invasion de l’Islam
La fermeture de la Méditerranée occidentale
Venise et Byzance
Le coup d’État carolingien et la volte-face du pape
La décadence mérovingienne
Les Maires du palais carolingiens
L’Italie, le pape et Byzance. La volte-face de la papauté
Le nouvel empire
Les débuts du Moyen Âge
L’organisation économique et sociale
L’organisation politique
La civilisation intellectuelle
Conclusion
Notes (56 pp.)
[1] Jacques Le Goff a écrit : « Pour les fondateurs des Annales, il s’agissait de retrouver la synthèse historique et la perspective comparatiste, admirant la façon dont Henri Pirenne en avait parlé dans sa Méthode comparative en histoire au Ve congrès international des sciences historiques, le 9 avril 1923 » in La Nouvelle Histoire, rééd. Éditions Complexe, 1988, Retz CEPL, Paris, 1978, p. 40.
[2] Paris, Alcan, 1936.
[3] Bruxelles, Éditions Maurice Lamertin, 1900-1948, 7 volumes, 3560 pp.
[4] Paris, Alcan et Bruxelles, Nouvelle Société d’Éditions.